samedi 23 novembre 2024 02:26

Deux visiteurs parisiens des années 50 : Mohammed Fouiteh et Abdelhadi Tazi

Comme à tous ses auditeurs qui ne sont pas chanteurs, la chanson marocaine m’a, jusqu’ici, plus coûté que rapporté. Je ne saurais oublier, néanmoins, qu’il y a une trentaine d’années, devant la fontaine Saint-Michel à Paris Abdelhadi Belkhayat, rencontré par hasard, eut un excellent mouvement : il m’offrit cent francs !

C’est  notamment en souvenir de cette pulsion généreuse que j’écoute les enregistrements  de cet artiste de premier plan. Pour le reste, je suis plutôt nostalgique de Mohammed Fouiteh et cela s’explique par ma  petite enfance. En effet, c’est dans un berceau partagé avec mon frère jumeau Farid que j’entendis pour la première fois de ma vie une chanson interprétée en live par Mohammed Fouiteh.

Le séjour parisien de Fouiteh, dans les années 50, est mentionné par Driss El Yazami dans «Générations-un siècle d’histoire culturelle des Maghrébins en France» ( Gallimard, 2009 ). Celui-ci écrit dans le chapitre dont la rédaction lui a été confiée et qui porte sur «Paris, scène maghrébine» : «La plupart (des artistes) font le déplacement pour des raisons strictement artistiques. Quelques uns pour apprendre (tel le Marocain Fouiteh), mais beaucoup d’autres, dépourvus de formation mais non de talent, pour rencontrer les maisons de disques…».

C’est donc au cabaret oriental El Djazair, qui était plus un restaurant  qu’une salle de spectacle, haut lieu de la chanson maghrébine en France que j’entendis, encore dans mes langes, le cher Fouiteh. Driss El Yazami rappelle que le chanteur habitait à la Maison des étudiants, rue Bonaparte, dans le VIe arrondissement «où il côtoie ses compatriotes, militants actifs de l’Association des étudiants musulmans nord-africains. Il enregistre-(…) à l’initiative d’Ahmed Hachlaf (…) deux chansons nationalistes codées Awmaloulou titre volontairement obscur, dira l’artiste et Menni mchiti Sidi «Après ton départ, Monseigneur» qui sont des protestations contre l’exil de Mohammed V».

Ce sont de tels souvenirs -si tant est que l’on puisse en garder de précis des toutes premières années que l’on passe sur terre, que ravive la lecture du petit ouvrage d’Abdelhadi Tazi «Mon premier voyage  en France 1952»  (Editions du Sirocco, 2009, traduction de «Rihlati al oula ila Farança»  qui parut en 2008 chez Dar Al Harf). L’historien aujourd’hui nonagénaire a conservé le regard d’un amoureux de l’existence et une forme de sympathique naïveté. Il nous y décrit, Farid et moi, comme «des prématurés, somnolant tels deux chatons, mais dans une couveuse pour compléter leur croissance».

En fait de croissance, je ne mesure pas plus, d’un mètre soixante quatre centimètres, à l’heure actuelle, ce que j’indique en toutes lettres pour faire plus long.

Ce n’est pas sans songer à la visite parisienne d’Abdelhadi Tazi que l’univers des chansons et des poèmes qui participent de la constitution de la sensibilité m’est venu à l’esprit. En effet, notre auteur écrit à propos de mon père : «Driss m’avait demandé (…) «Le livre des chansons», une anthologie de la poésie arabe par Abu al Faraj d’Ispahan».

Moins érudit est le livre consacré à des chansons (et des images) que je consulte aujourd’hui, mais c’est une lecture pleine de détails curieux : «L’aventure scopitone» 1957-1983  est l’histoire des précurseurs du vidéoclip par Jean-Charles Scagnetti (éditions Autrement, 2010).

L’auteur y explique que le lancement en France d’un catalogue maghrébin et moyen-oriental prolongea d’une décennie l’exploitation des juke-box à images, notamment dans les cafés maghrébins, «véritables lieux de sociabilité institutionnalisée des communautés algériennes, marocaines et tunisiennes».  Sept chansons d’Abdelwahab Doukkali furent  ainsi filmées.

Hélas, pas de scopitone montrant Mohammed Fouiteh en interprète de l’une on l’autre de ses chansons. C’est fort dommage car, pour l’avoir souvent salué à Rabat, longtemps après son séjour parisien, je me souviens à jamais de son absolue gentillesse.

Source : Le Soir échos

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