samedi 23 novembre 2024 01:30

«Diaspora marocaine et diplomatie culturelle et politique» Entretien avec Mohammed Charaf, chercheur

Dans l'entretien accordé au «Matin», le chercheur appelle pour une stratégie de mobilisation des compétences établies à l'étranger.

Du 14 au 21 juillet, le ministère chargé de la Communauté marocaine résidant à l'étranger organise «le Raid des Marocains du Monde» qui devrait entamer ce périple par Agadir, Guelmim, Tarfaya, Laâyoune, Ichtoukane, Dakhla, Boujdour Tantan et Tiznit.

LE MATIN : En terme d'analyse, et il faut rendre hommage aux responsables actuels, l'émigration n'est plus perçue comme une perte, comme un exode des cerveaux .Elle exige une véritable stratégie de mobilisation des compétences, à laquelle le Maroc s'est attelé. Partagez-vous cette idée ?

MOHAMMED CHARAF: Jusqu'à la fin des années 1980, les politiques nationales et internationales, se sont focalisées en terme d'analyse, sur la notion du "capital humain". Logiquement, la personne qualifiée, résultat d'un investissement, est considérée comme un bien capital et sa migration une perte sèche pour les pays d'origine. Aujourd'hui, le mode de saisie d'un tel phénomène a évolué au cours des années. Faisant que désormais on souligne plus ‘le gain de compétence' que sont censées devoir constituer des élites intellectuelles et scientifiques expatriées pour le pays de départ. Il y a eu une évolution dans la conception de la mobilité des compétences, à tel point que de nos jours on insiste plus sur le "brain gain" (gain de compétences), basé sur l'idée que la population qualifiée expatriée peut être considérée comme un avantage potentiel plutôt qu'une perte définitive.

Tout recours postérieur à ce type de compétences à fort capital en valeur ajoutée ne pouvant qu'entraîner un avantage comparatif certain pour le pays d'origine n'ayant pas à charge de former cette élite sur le plan du savoir pratique. Pour ce faire, il serait en mesure théoriquement de recourir à un retour programmé sur le plan institutionnel et préparé techniquement par ces dernières ; comme déjà concrétisé pour certains pays asiatiques. Encouragent leur retour et leur insertion dans un tissu technico-industriel, conséquent, de sorte, qu'ils puissent participer aux activités de recherche-développement et apporter leur savoir faire Comme ce fut le cas notamment en Chine, en Corée et à Singapour, par contre ce fut un échec total dans les pays subsahariens . Il y a aussi, la possibilité de mobiliser à distance cette "diaspora scientifico-technique" et à solliciter sa contribution au développement du pays d'origine. Sans retour physique permanent, il suffit d'inciter pour ce faire, d'encourager la création de réseaux et de développer des liens à travers lesquels elle pourrait être connectée effectivement au pays et à son développement au sens large. Une telle approche est avantageuse, dans la mesure ou non seulement elle laisse le libre arbitre au migrant, sans aucune contrainte, mais aussi, elle permet au pays d'origine de capitaliser sur des ressources préexistantes, sans nécessité d'investissement infrastructurel préalable important. Ceci d'autant plus que les compétences, peuvent à la fois baigner dans des structures de recherches pointues, être au courant de nouvelles découvertes et de nouveaux projets et développer par la même des relations de coopérations avec leurs compatriotes dans les pays d'origines

A voir ce phénomène de retour des RME dans leur pays d'origine pour des vacances, on peut mesurer, la force du lien qui attache les RME au Maroc ?

Même si les RME sont intégrés aux pays d'installation, ils n'en continuent pas moins à se sentir concernés par le pays d'origine ; ne serait-ce qu'à travers le tissu dense des relations privées toujours entretenues. Ce lien reste très fort, mais cela ne suffit pas , il faut une véritable stratégie de mobilisation des compétences à laquelle s'est attelée Mr Ameur.

Comment peut-on mobiliser la diaspora scientifique au service du développement du Maroc ?

La circulation des personnes n'étaient jusque là abordée que sous l'angle du contrôle de l'émigration et de la surveillance des frontières. Or, la circulation humaine, dans ses différents aspects migratoire, scientifique ou touristique, participe de façon décisive à la dynamisation des espaces économiques, que ce soit à travers les transferts d'argent des émigrés à leur famille, les diverses formes d'investissement ou les pratiques touristiques saisonnières. Dans ces conditions, il apparaît nécessaire de s'intéresser de plus près au potentiel que représentent les acteurs économiques migrants dans l'évolution économique du Maroc. Dans son rapport de mai 2006 sur la migration internationale et le développement, le Secrétaire général des Nations unies insiste sur la capacité des communautés transnationales d'apporter un soutien très efficace au niveau des transferts de fonds à l'échelle locale, les transferts de technologie, la facilitation d'investissements et de développement d'entreprises, et la mise en place d'institutions de gouvernance démocratique dans les pays d'origine. Généralement les réseaux "d'expatriés de la connaissance" identifiés, sont classés en 5 catégories: réseaux étudiants/académiques, associations locales d'expatriés qualifiés, groupes d'experts d'assistance à travers le programme de transfert des connaissances par les ressortissants expatriés (TOKTEN) programme du PNUD et enfin les réseaux diasporas scientifiques/intellectuels. Ces réseaux sont facilités par les techniques modernes de communication comme Internet et par la connexion devenue habituelle, à travers le monde, entre chercheurs de la même discipline.

Pouvez-vous nous donner un exemple de diaspora scientifique particulièrement bien réussi dans le monde ?

Le plus connu et le plus ancien de ces réseaux constitutifs d'une diaspora scientifique et technique est sans doute le réseau colombien CALDAS qui réunissait 1000 scientifiques et étudiants expatriés, en 1995. Le but est, à travers ces réseaux, de maintenir les liens avec les nationaux pour parfaire l'information scientifique et technique dans le pays, contribuer à l'internationalisation des communautés scientifiques nationales. et on peut également faire appel aux expatriés en cas de besoin. Ainsi le "brain overflow" devient un "brain pool", une réserve. Pour revenir au Maroc ,dés le milieu des années quatre vingt dix, se sont constitués les premiers réseaux de Marocains comme celui de l'Association virtuelle des Étudiants marocains à Montréal (ww.geocities.com / Collège Park / Library / 1593 / index.htm), des scientifiques (biologistes) marocains en Belgique (dbm.ulb.ac.be / biomatec / Biomatec.html) ou de l'association des centraliens (WWW. ecp. fr/ clubs / marocasc/). Il faut souligner aussi la présence de quelques associations, comme l'Amicale des Travailleurs Marocains du Bassin de la Sambre (WWW. geocities. com/ CapitolHill / 5967/) ou l'Association jeunesse et développement. De nombreuses réunions ont eu lieu, notamment à Marrakech en 1995, pour tenter de structurer les compétences marocaines à l'étranger, autour du programme TOKTEN qui vise justement à favoriser la « mobilité des cerveaux ». Ce fut une grand- messe sans lendemain, il y avait beaucoup de déceptions. En 2006, une nouvelle expérience est lancée, à partir de la même philosophie FINCOM. qui est toujours en cours. De leur côté les pays d'installation, cherchent à résoudre certaines difficultés et problèmes d'immigration, en mettant parfois en avant "Migration et développement" ou "migrations et co-développement".

L'objectif final du projet est de permettre le retour effectif ou à distance pouvant avoir des effets positifs tant sur la vie professionnelle des bénéficiaires que sur le développement économique et social de leur pays d'origine.

La gestion de l'émigration a beaucoup évolué au Maroc. D'une gestion de peur et de contrôle, nous sommes passés à une gestion qui rend hommage à cette partie du Maroc. Que pensez vous de ce changement de perception ?

Le Conseiller de S.M. le Roi Mohammed VI, André Azoulay, avait témoigné de cette évolution devant le Sommet des intellectuels de l'Afrique et de la Diaspora qui s'est tenu à Bahia de Salvador du 12 au 15 juillet 2006 Il avait déclaré :que "les Nations, après s'être longtemps méfiées de leurs diasporas, étaient en train de prendre conscience des atouts et de la force d'une réalité historique, démographique et politique qui s'impose désormais aux décideurs en Afrique, en Europe et dans les Amériques et en Asie".La force de la diaspora marocaine , ses compétences peuvent être perçues à travers les multiples réseaux comme celui de l'Association Maroc Entrepreneurs, le plus grand réseau d'étudiants et jeunes diplômés issus des grandes écoles françaises (6393 membres); l'Association des Informaticiens marocains en France (environ 200 membres), l'Association Marocaine des Biologistes en France, l'Association Marocaine des Biologistes aux Etats Unis , la «Moroccan Academic Research Scientists » (USA), le Réseau des Intellectuels Marocains en Europe, l'association «Savoir et Développement»,… L'AMGE-Caravane (Association des Marocains dans les grandes écoles) a été créée au début des années 90 avec près de 2 200 membres, l’association baptisée «ESSEC-Maroc».

C'est une véritable force de frappe, dites-vous. Dans quel sens ?

C'est une étude intéressante qui constatait que" l'une des principales caractéristiques du développement économique de ces vingt dernières années réside dans sa dépendance de plus en plus forte à l'égard de la production et de l'utilisation de nouvelles connaissances. Ainsi la part des produits considérés comme de haute technologie dans le commerce mondial est-elle passée de 8% en 1976 à 23% en 2000, les exportations de produits liés aux technologies de l'information et de la communication connaissant la plus forte progression sur la période 1985-2000. Cet avènement d'une économie de la connaissance s'est traduit par une croissance importante de la demande en personnels qualifiés, notamment de chercheurs et d'ingénieurs. De ce fait, Il a pu conduire à des pénuries de main d'oeuvre qualifiée dans plusieurs branches de haute technologie des pays industrialisés. De tels manques ont par conséquent favorisé l'intégration internationale du marché du travail des personnels scientifiques et techniques". Dans ce contexte, il est clair que le Maroc est placé face à des défis majeurs. Et cela, non seulement pour arrimer et impliquer ses compétences à l'étranger dans les mutations socio-économiques en cours, mais aussi pour atténuer la fuite de nouvelles compétences et pourquoi pas, en attirer à partir d'autres pays. Ce sont là des enjeux vitaux pour, tout à la fois renforcer sa dynamique économique, stimuler son système d'enseignement supérieur et activer le secteur de la recherche.

Les pays d'accueil sont eux aussi concernés par la problématique de l'exode des cerveaux. Faute de quoi, et à défaut de développement durable, les pays à forte émigration peuvent multiplier les capacités de nuisances ?

Il semble qu'il faille désormais ne concevoir de solution réelle et réalisable que dans la perspective d'un accompagnement et un arrimage au sein duquel les trois partenaires que sont le pays de départ, celui d'installation et le migrant, fonctionneraient de concert et trouveraient de ce fait chacun la concrétisation de leur satisfaction. Chose ne pouvant être réalisée et réalisable que dans le cadre d'une mobilité bien comprise et assumée par toutes les parties en question. Dans le cadre également d'une promotion de la recherche, l'innovation et le développement dans les pays de la rive sud, tout en mettant en place des structures d'information pour les jeunes chercheurs maghrébins, désireux de poursuivre leurs études et recherches en Europe.

Il est nécessaire de mener une politique de motivation ou d'incitation pour que les jeunes élites se sentent véritablement valorisées et respectées, au sein de leur domaine de compétence. En faisant du savoir, non plus le seul objectif de la réussite socio-économique ou de l'accès à une sécurité de l'emploi par le fonctionnariat ; mais l'appartenance à un monde du savoir et de la connaissance, reconnus comme vraies valeurs sociétales, avec par exemple la création de "trophées de recherches".. Avec les responsables européens , il faut gommer aussi les disparités criantes entre "l'épicentre scientifique " et une certaine "périphérie " régionale.

En remédiant pour ce faire, au manque de moyens financiers, à l'absence d'autonomie de gestion et de décision, au surpeuplement pléthorique et à la mobilité limitée des enseignants chercheurs.

La question des visas est au centre des discussions avec la publication du dernier rapport de la CIMADE qui pointe du doigt les dysfonctionnements des consulats. Que faudrait-il faire pour fluidifier la circulation ?

Certains ont proposé la mise en place d'un visa scientifique, tendant à favoriser et faciliter la mobilité des étudiants et des chercheurs en leur simplifiant les démarches administratives; en attribuant des visas de longue durée qui évitent ainsi aux chercheurs les nombreux allers et retours de type administratifs. En fait, il faut par le dialogue sensibiliser toutes les parties prenantes sur la question de la migration dans la région ; en développant l'idée centrale que la migration est l'un des facteurs majeurs de toute intégration régionale et du développement et que chaque partie est partie prenante du processus de ce développement.

Source : Le Matin

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