mercredi 3 juillet 2024 14:24

picto infoCette revue de presse ne prétend pas à l'exhaustivité et ne reflète que des commentaires ou analyses parus dans la presse marocaine, internationale et autres publications, qui n'engagent en rien le CCME.

Entretien avec Driss El Yazami, Président du CCME

«Le sport constitue le chemin d'une insertion réussie des Marocains résidant à l’étranger»

LE MATIN : Quel est l'état des lieux des sportifs marocains à l'étranger? Combien sont-ils approximativement et quelles sont les disciplines dans lesquelles ils brillent ?

DRISS EL YAZAMI : De manière générale, on peut dire que le sport exerce une forte attractivité auprès des Marocains de l'étranger. Ils sont nombreux à se retrouver pour jouer au foot chaque semaine, courir ensemble, fréquenter des salles de boxe ou d'arts martiaux, etc. De telle sorte qu'on peut affirmer que le sport constitue un lien social fort entre Marocains dans leur pays de d'accueil, allant parfois jusqu'à constituer des clubs de Marocains, avec des noms de clubs du Maroc (Raja, Wydad, …), comme il en existe en France, en Italie ou ailleurs … même à Washington. Certains de nos compatriotes choisissent d'aller plus loin et de pratiquer leur sport favori non seulement comme passion, mais aussi comme gagne-pain.
Ainsi, on trouve des générations de sportifs de moyen ou de haut niveau, un peu partout dans des clubs toutes disciplines confondues.
La majorité d'entre eux sont dans des clubs de foot ou d'athlétisme : on en compte quelques centaines en Europe. Un phénomène intéressant est à relever : la forte fréquentation des écoles de formation et des clubs par les jeunes générations de Marocains nés là-bas, particulièrement en football et en sports de combat.

Enfin, il y a les stars, nombreux aussi, qui sont allées jusqu'au bout de leur rêve et qui sont des champions nationaux de leur pays de résidence, voire de renommée internationale ou même champions du monde, pour certains peu connus au Maroc ou pas du tout, mais respectées comme tels dans leurs pays de résidence.

On en trouve jusqu'en Nouvelle-Zélande où on compte un champion du monde de Thaï Kickboxing. On les trouve essentiellement en football, en athlétisme, en arts martiaux, en boxe tous les poids ; mais aussi en handball, en basketball, en natation, en hockey sur glace ou dans des disciplines moins médiatiques comme le handisport.

Les sportifs marocains sont présents à l'étranger depuis 1930. Comment leur situation a évolué depuis ?

Les premières générations étaient engagées à l'époque coloniale dans des sélections françaises ou espagnoles, surtout en cross country, en fond et demi-fond. De même, on a toute la génération de footballeurs des années 40-50, avec des figures emblématiques comme Larbi Benbarek, Hassan Akesbi, Belmahjoub, Zhar, etc … Et ceci a continué jusque dans les années 80 où des sportifs marocains choisissaient de s'expatrier pour trouver des conditions plus favorables d'entraînement mais aussi financières, et qui leur permettaient de s'épanouir dans des clubs d'envergure. C'est toute la génération des Krimau, Bouderbala, El Haddaoui, Zaki, mais aussi des Benazzi, El Moutawakkil. Dans les deux dernières décennies, à l'image des mutations profondes que connaît l'émigration marocaine, des générations de jeunes nés dans les pays de résidence commencent à percer. Le sport constitue pour eux un moyen de réussite sociale et professionnelle, le chemin d'une insertion réussie mais aussi de reconnaissance dans un environnement parfois difficile. Etant généralement binationaux, ils se retrouvent devant un choix cornélien : porter les couleurs du pays de naissance ou celles du pays d'origine . Ainsi, comme vous le savez, l'équipe nationale de football est essentiellement composée de Marocains de l'étranger, les boxeurs tels que Badr Hari, Lakhsam et d'autres sont pour beaucoup des champions de leur pays de naissance et parfois champions du monde.
A mon avis, ce phénomène est appelé à prendre de l'ampleur. Le colloque sur « sportifs marocains du monde, histoire et enjeux actuels » qui sera tenu les 24 et 25 juillet va nous permettre de mettre cette situation en perspective et d'imaginer le cadre qui pourrait permettre au Maroc de continuer à bénéficier de l'apport de ces compétences.

De quelle manière les sportifs marocains du monde contribuent-ils à la promotion de l'image du Maroc à l'échelle internationale ?
Un souvenir me revient ; celui de Saïd Aouita lorsqu'il a battu son premier record du monde. Les jours et les mois qui ont suivi, et chaque fois que j'étais en déplacement dans un pays étranger, il se trouvait toujours quelqu'un pour me rappeler lorsque je lui disais que j'étais Marocain : « Oh, yes ! Morocco, Saïd Aouita ! ». C'est ainsi ! Le sport est un formidable vecteur de promotion d'un pays, et plusieurs campagnes publicitaires ne suffiraient pas à produire le même effet qu'une image de performance sportive individuelle ou collective. Il n'y a qu'à songer à ce qui s'est passé ces dernières semaines pendant le Mondial de football, et les conséquences, positives (Corée, Nigeria) ou négatives (France, Italie), que cela a produit selon les pays.
Bon nombre de ces sportifs défendent les couleurs de leurs pays d'accueil. Est-ce qu'on peut dire que ceux-ci apportent également à l'image du Maroc à l'étranger ?

Je précise tout d'abord que, en général, il ne s'agit pas de pays d'accueil mais de naissance. Et là aussi, c'est un sujet qui sera soulevé lors de notre colloque. Cette situation correspond également aux mutations profondes que connaît l'immigration marocaine. On est en présence d'un processus d'enracinement irréversible de ces populations, avec une double nationalité et une double appartenance qui va aller en s'amplifiant, même si cet enracinement demeure parfois contrarié par les réalités des discriminations et de la xénophobie.

Il n'empêche, ces sportifs sont repérés comme étant de descendance marocaine et, peu ou prou, sont considérés par le public national comme des nationaux. Regardez la fierté des Marocains lorsque Abdellatif Benazzi était capitaine de l'équipe de France ou encore celle de nos voisins Algériens vis-à-vis de Zidane. Je suis prêt à prendre le pari qu'Afalay et Boulahrouz auraient été considérés comme des champions du monde marocains si les Pays-Bas avaient remporté la finale du Mondial.

Quel sera l'apport du colloque « Sportifs marocains du monde, histoire et enjeux actuels » qui sera tenu les 24 et 25 juillet aux sportifs marocains du monde ?

L'analyse sur le temps long du palmarès des sportifs marocains de l'étranger s'envisage de multiples façons : il s'agira de prendre en compte les choix de carrière entre intérêt sportif et attachement national, mais aussi l'évolution des performances dans les différentes disciplines sportives en repérant les temps forts, bien souvent liés à des figures emblématiques.
L'ambition est de réfléchir aux modalités du choix de « l'identité sportive » à travers le cas marocain, envisagé dans un large cadre qui inclut la période coloniale et les enfants issus de l'immigration. Ces derniers, binationaux, sont souvent amenés très jeunes à choisir le pays qu'ils vont représenter durant toute leur carrière.

S'il reste limité au monde assez fermé du haut niveau, compte tenu de l'importance symbolique et politique des performances lors des compétitions internationales, le choix de l'identité sportive revêt une importance majeure. Par ailleurs, il sera nécessaire de replacer ces stratégies dans le cadre plus large des mobilités marocaines vers l'étranger.

Les réactions du public marocain au pays ou à l'étranger face à ces vedettes devenues pour certains des stars internationales, qui se situent entre appropriation, adulation et rejet, constituent un aspect majeur qu'il s'agira également d'étudier.

Source : Le Matin

Google+ Google+