Dans le flot ininterrompu de la production cinématographique, il arrive parfois que les séquences ou le propos d’un film, vous hantent encore à l’issue de sa projection, tant l’œuvre est marquée d’une rare force. Norteado (2009) est de la veine de ces ovnis, qui vous tienne en haleine, tant il touche et interpelle à plus d’un titre. Rigoberto Perezcano, pressenti comme l’un des futurs grands réalisateurs du cinéma d’auteur mexicain, embarque le spectateur dans la traversée et les souvenirs d’Andres, jeune fermier qui quitte sa terre natale, Oaxacan, avec l’espoir de passer la frontière afin de rejoindre les Etats-Unis. Rétention de dialogue, richesse du langage visuel, esthétique hors pair au travers d’une lumière bleue, tel un personnage qui jalonne l’exil du jeune homme. On marche dans le bel ouvrage qui flirte entre humour et ironie pour dire les envies d’ailleurs d’Andres, qui pourrait vivre sous le ciel d’Alger, de Casablanca, de Ouagadougou, de Brazzaville et avoir les yeux rivés vers le vieux continent. Le procédé scénaristique qui peut dérouter, bouscule les schémas classiques narratifs : le héros vit dans un monde lié à son inconscient et revient sur ses tentatives de traversées, sa rencontre avec deux femmes, Ela et Cata, sa découverte avec Tijuana.
La fin de son histoire, à la frontière de la réussite ou de l’échec, est laissée en suspens… L’idée ? «Edgar San Juan, le scénariste, m’a demandé mon avis au sujet de son script, il voulait que je sois le réalisateur du film. J’étais touché, car j’ai immédiatement été séduit par les personnages. Je lui ai, cependant, expliqué que j’avais besoin d’une large part de liberté», explique Rigoberto Perezcano. Venu au septième art, à l’issue de ses études de droits, Rigoberto, suit ensuite une école de cinéma pour dire quelques années plus tard, à travers un documentaire, XV à Zaachila, la vie et les habitants de sa ville natale, à fleur de vérité. «J’y ai grandi, entouré de mes trois sœurs, mon père était mécanicien, je me destinais au métier d’avocat. J’aime le travail d’investigation, la dimension du réel. Un film, c’est une histoire et la véracité qui peut s’en dégager m’intéresse. Un réalisateur doit savoir prendre des risques. Dans mon pays, nombre de Mexicains tentent d’aller aux Etats-Unis, dans l’espoir de trouver un job, afin de mieux vivre. Il en est de même au Maroc, comme à Tijuana, les candidats à l’immigration clandestine agissent par désespoir, leur vie est particulièrement difficile», confie-t-il. Norteado, sorti en salles en France depuis fin juillet 2010, connaît un franc succès où il alimente les colonnes de la critique parisienne, élogieuse et dithyrambique. «J’en suis très heureux, d’autant que j’ai vécu un an à Paris, il y a quelques années. J’adore cette ville», ajoute le jeune réalisateur. La nouvelle étoile du cinéma mexicain travaille actuellement sur le projet de son prochain long-métrage «Carmin Tropical» : «Le tournage se déroule à Mexico. Il traite de l’univers des travestis, des transsexuels et où le personnage principal tombe amoureux. Je souhaite montrer la complexité de l’homosexualité», conclut-il. En attendant, Norteado, continue sa traversée réussie, dans les salles obscures des quatre coins du monde.
Source : Le Soir