Priorité est donnée à la chasse aux clandestins délinquants, mais 700.000 étudiants pourraient être régularisés.
Dans la perspective des législatives du premier mardi de novembre (renouvellement de la totalité de la Chambre des représentants et du tiers du Sénat), le Parti républicain a entrepris d'attaquer l'Administration Obama sur le thème de l'immigration, lui reprochant d'être trop «laxiste» envers les clandestins. À la faveur d'une poignée de crimes horribles commis récemment par des immigrés illégaux dans les États frontaliers du Mexique - amplement médiatisés par la grande chaîne conservatrice d'information en continu Fox News, ce thème est revenu en force dans la campagne électorale.
Pourtant, lorsqu'on examine les statistiques officielles, l'on s'aperçoit qu'il est injuste d'accuser de laxisme l'Administration Obama. Au cours de l'année 2009, cette dernière a en effet procédé à l'expulsion (les Américains utilisent le terme de «déportation») de quelque 390 000 immigrés illégaux, soit 20 000 de plus que l'Administration Bush au cours de l'année 2008.
Qui plus est, depuis l'arrivée du démocrate Barack Obama à la tête de l'exécutif, l'agence fédérale ICE (Immigration and Customs Enforcement), l'organisme chargé de faire respecter les lois sur l'immigration, a très clairement adopté une stratégie de chasse prioritaire aux délinquants, au sein de la masse des immigrés clandestins. Au cours des dix derniers mois, l'ICE a capturé puis expulsé quelque 143 000 immigrés illégaux convaincus d'avoir commis des délits sur le territoire des États-Unis. Un chiffre record dans toute l'histoire du pays. Preuve supplémentaire de cette stratégie sélective, les expulsions d'immigrés n'ayant commis que des «civil violations» (l'équivalent de nos contraventions) ont chuté de 24 % au cours de la même période. Le fait de franchir illégalement la frontière internationale des États-Unis, ou d'y rester après l'expiration de son visa, ne constitue pas ici un «crime» (délit), mais seulement une «civil violation».
L'économie américaine constitue un extraordinaire appel d'air pour les masses misérables à la démographie galopante d'Amérique latine. Les jeunes latinos viennent aux États-Unis dans le but d'y travailler (car il est facile de s'y faire embaucher, même sans papier), mais pas dans le but d'y percevoir des prestations sociales (très difficiles à obtenir dans un pays qui réprouve moralement l'assistanat). Il n'y a pas que les ranchs du Texas pour faire travailler les clandestins. Dans les magnifiques fermes de l'aristocratique «horse country» du nord de la Virginie, le fourrage des pur-sang et la tonte des pelouses sont très souvent l'affaire de lads péruviens, salvadoriens ou boliviens. Dans les restaurants de Washington, les garçons de cuisine sont très souvent des clandestins. Même les PME installées dans la périphérie de la capitale fédérale embauchent des illégaux. Une situation inenvisageable dans les grandes entreprises, soumises au double contrôle de leurs syndicats et de leurs conseils d'administration. La raison est qu'ici l'embauche d'un clandestin par un entrepreneur ne constitue pas un délit. Tout au plus un péché véniel. Il est par ailleurs rarissime que les autorités étatiques ou fédérales viennent dresser procès-verbal (en vue du paiement d'une faible amende) pour l'embauche d'un clandestin. En pratique, l'embauche des immigrés illégaux ne pose socialement problème qu'aux personnes ayant des ambitions politiques. Car, lors des processus de confirmation, on fouille toujours le passé des candidats. Nombreux sont les exemples de ministres qui ont dû renoncer au portefeuille que le président leur avait offert, après qu'on eut découvert qu'ils avaient employé au noir une nanny ou une femme de ménage.
Comment l'Administration Obama compte-t-elle mener sa contre-offensive politico-médiatique face aux accusations des républicains ? La Maison-Blanche ne se contentera pas de rappeler ses bons chiffres en matière de chasse aux délinquants. L'exécutif espère bientôt régler le problème des quelque 720 000 jeunes clandestins qui pourraient bénéficier d'une actuelle proposition de loi (à initiative démocrate, mais avec le soutien de plusieurs élus républicains), appelée Dream Act. Cette loi régulariserait tous les jeunes immigrés illégaux (enfants ayant naguère traversé clandestinement la frontière avec leurs parents) offrant les caractéristiques suivantes : cinq ans de présence minimum sur le territoire américain, casier judiciaire vierge, diplôme de fin d'études secondaires, validation de deux années d'études supérieures ou enrôlement dans l'armée. Dans les guerres d'Irak et d'Afghanistan, on remarque, sur le terrain, une forte proportion de latinos parmi les soldats de deuxième classe. Le plus souvent, ce sont des jeunes qui se sont engagés afin d'acquérir, à la fin de leur contrat et de leur «tour of duty» sur les théâtres les plus dangereux, la nationalité américaine.
Jusqu'à présent, l'ICE s'abstenait d'expulser les étudiants en situation irrégulière au regard des lois sur l'immigration. Mais il y a toujours, bien sûr, des excès de zèle. Le plus connu ici fut l'arrestation, au mois de juin dernier, du jeune Eric Balderas, natif du Mexique. Cet étudiant en biologie de 19 ans à l'Université de Harvard (la meilleure du pays) fut appréhendé à l'aéroport de San Antonio, alors qu'il s'apprêtait à prendre un vol de retour pour Cambridge (Massachusetts), après avoir rendu visite à sa mère. Après intervention des dirigeants de Harvard et d'un sénateur, l'ICE décida de suspendre indéfiniment son expulsion.
De plus en plus, les étudiants illégaux se mobilisent pour obtenir l'adoption du Dream Act par le Congrès, qui leur ouvrirait la voie de la régularisation, et, dans une seconde phase, celle de la naturalisation (qui reste bien sûr une initiative individuelle). Certains sont même allés manifester au Congrès, à Washington. Arrêtés par la police spéciale du Capitole après avoir investi les bureaux de certains sénateurs et y avoir organisé, vêtus de robes et de toques noires, des parodies de cérémonies de remise de diplômes universitaires, ils ont ensuite été relâchés par l'ICE. Aujourd'hui, les étudiants américains issus de l'immigration illégale n'ont plus peur de faire leur «outing»…
L'Administration Obama réussira-t-elle à faire passer cette législation avant novembre ? Rien n'est moins sûr, car le Parti républicain y est, dans son ensemble, encore farouchement opposé…
Source : Le Figaro