Toute l’Amérique ultra, qui prétend que Barack Obama est un musulman caché et l’appelle toujours Barack Hussein Obama - en mettant l’accent sur son deuxième prénom -, exulte une fois de plus. En intervenant ce week-end dans la polémique sur la mosquée de Ground Zero, et de façon un peu confuse, le Président a donné une nouvelle ampleur à cette controverse, et de nouvelles munitions à ses détracteurs. Vendredi, lors d’une réception à la Maison Blanche en l’honneur du début du ramadan, Obama s’est mêlé pour la première fois de cette dispute en soulignant que «les musulmans ont le même droit de pratiquer leur religion que n’importe qui d’autre dans ce pays».«Cela inclut le droit de construire un lieu de culte et un centre communautaire sur une propriété privée dans le sud de Manhattan, dans le respect des lois locales», a-t-il souligné.
Samedi, après que ces premiers propos ont soulevé un tollé, le Président a semblé rétropédaler, précisant qu’il n’avait «pas commenté et ne commentera pas» la «sagesse» de ce projet de mosquée près du site des attentats du 11 septembre 2001. Sarah Palin, qui fait de plus en plus figure de leader de l’opposition, a pu railler : «Nous savons tous qu’ils ont le droit de le faire, mais le doivent-ils ? Ce n’est pas une question au-dessus de votre niveau de salaire», a-t-elle lancé, s’adressant ainsi familièrement à Obama sur Twitter.
Cette mosquée de la discorde est un projet de l’imam Feisal Abdul Rauf qui voudrait construire un centre islamique non pas directement à Ground Zero mais à deux pâtés de maisons de là. Ce serait une tour appelée «Cordoba House», en référence au riche passé musulman de la ville espagnole de Cordoue, qui comprendrait une salle de prière ainsi qu’une piscine, un terrain de basket, un restaurant, une école de cuisine et une bibliothèque… Son promoteur, l’imam Rauf, est apprécié des autorités américaines qui l’ont plusieurs fois envoyé (sous Bush puis sous Obama) en mission dans les pays musulmans pour y faire la démonstration que l’islam est bienvenu et bien traité aux Etats-Unis… Mais l’imam est controversé pour avoir déclaré, au sujet du 11 Septembre, que les Etats-Unis étaient «complices du crime».
Barack Obama a choqué nombre de ses partisans en s’engageant sur ce terrain glissant. Plusieurs élus démocrates jouaient ce week-end les vierges effarouchées, reprochant au Président de dévier une fois de plus de son «message principal», qui devrait être ses efforts pour redresser l’économie américaine. «Même si sa position est défendable, cela ne passera pas bien dans les parties du pays où les démocrates ont le plus besoin d’aide» à l’approche des élections de mi-mandat, au mois de novembre, redoute aussi Martin Frost, ancien représentant démocrate du Texas. Plus cyniquement, il est pourtant évident que tout ce qui détourne l’attention des problèmes économiques du pays est bienvenu pour Barack Obama. La promotion d’une Amérique diverse et tolérante est aussi ce qu’il fait de mieux, ou de façon la plus convaincante, selon les sondages.
«Construire cet établissement renforcera le combat de l’Amérique contre Al-Qaeda», assure de son côté le Center for American Progress, un think tank libéral qui a volé au secours du Président ce week-end. «Oussama ben Laden veut que les musulmans croient que l’Amérique et l’Occident sont en guerre contre l’islam», argumente ce cercle de réflexion qui, pour prouver le contraire, soutient le projet de la tour Cordoba.
A l’inverse, conservateurs et républicains hurlent à «l’outrage» pour la mémoire des victimes du 11 Septembre et multiplient les comparaisons offensées. «Aucun Allemand de bonne volonté ne songerait même à proposer un centre culturel allemand à, disons, Treblinka», a osé le chroniqueur Charles Krauthammer. Sarah Palin compare ce projet à la «construction d’une église orthodoxe serbe à Srebrenica, sur les champs de la mort où des musulmans ont été massacrés». Mais elle renvoie aussi à une position plus argumentée de deux intellectuels canadiens, Raheel Raza et Tarek Fatah qui, «en tant que musulmans», se disent «consternés que [leurs] coreligionnaires aient si peu de considération pour leurs concitoyens et cherchent à mettre du sel dans leurs plaies en prétendant appliquer un baume». Du côté des défenseurs de la mosquée, Joe Klein, éditorialiste du magazine Time, souligne que le quartier où doit être érigée cette Maison de Cordoue n’est pas si «sacré» que certains le prétendent puisqu’il accueille déjà des fast-foods, des magasins de fripes ou même - «si je me souviens bien», avoue Klein - des bars topless… «Serait-ce seulement la présence de musulmans qui souille l’endroit ?» demande-t-il. Renchérissant dans la provocation, un humoriste de Fox News, Greg Gutfeld, a suggéré d’ouvrir un bar gay à côté du futur centre islamique. Pour que la tolérance ne soit pas à sens unique.
Source : Libération.fr