Pourquoi avez-vous réalisé un documentaire sur les Musulmans de France?
L’idée est en fait venue de la part de la production, suite à la publication du livre « Histoire de l’histoire et des Musulmans de France », (éditions Albin Michel). Il ne s’agit évidemment pas d’un ouvrage que l’on peut adapter tel qu’il est. Car le propos du documentaire devait s’attacher à plusieurs générations afin de montrer ceux qui sont les héritiers de cette histoire. Cela passe par les témoignages évoquant différents destins, comme les personnes qui avaient un grand-père qui a combattu à Verdun ou encore un grand-oncle arrivé d’Afrique du Nord en France en 1905: il fallait raconter cette histoire française, à travers la mémoire familiale. Les musulmans d’aujourd’hui ont un rapport profond, qui est de plus, inscrit dans l’histoire de la France métropolitaine et qu’ils sont en droit de revendiquer.
Avez-vous découvert des zones d’ombres au cours de ce projet?
Oui, plutôt des faits importants, méconnus, auxquels la population immigrée a œuvré et dont on ne parle pas. En 1936, le Front du mouvement populaire français s’est également opéré grâce aux travailleurs maghrébins. Nous avons acquis des droits qui font partie de la législation du travail car ils se sont battus aux côtés des autres travailleurs alors qu’ils ne votaient pas, considérés comme des citoyens de seconde zone.
L’inauguration de la mosquée de Paris en présence du Bey de Tunis, par un anti-clérical, dont le discours tendait à rechercher dans l’islam l’équivalent des valeurs de liberté, propres à la la République, témoignait à cette époque d’une fierté islamophile et non pas islamophobe, car la France se targuait de compter des musulmans, ce qui n’était pas le cas de ses voisins européens.
La question du regard de l’autre dans la société actuelle revient souvent…
Oui, c’est la difficulté des gens dont les parents et les grands-parents sont issus d’Afrique du Nord, car eux, sont nés dans l’Hexagone. Ils doivent toujours se définir par rapport à une communauté, à une origine, on n’a pas forcément envie de se définir tout court. Et de fonctionner au sein de la société à partir de cette identité, quel que soit le lien ou le rapport à la religion. En France, on les assigne à une place sans leur demander si cela leur correspond. Cela me renvoie à un parallèle avec le livre de Sartre, « La réflexion juive », dans lequel l’auteur dit que le juif ne peut échapper au regard de l’autre.
D’où vient le tabou qui cantonne les « beurs », systématiquement renvoyés à un passé qu’ils n’ont pas vécu alors qu’actuellement ils sont plus que français, ils sont européens, même si la France a dit non à l’Europe?
Au déni de la colonisation. La France se trouve dans l’impossibilité de se confronter à son histoire. Nous sommes face à de faux débats, la repentance en est un exemple criant. Nous sommes tous les héritiers d’une histoire violente et dure, qu’il faut regarder en face au lieu de s’enfermer dans une mémoire blessée qui est instrumentalisée par certains discours politiques. Actuellement, nous construisons ensemble ce pays, et les choses évoluent en dépit des blocages.
Que retenez-vous de « Musulmans de France »?
J’ai énormément appris. A travers l’histoire de la mosquée de Paris, la naissance du mouvement nationale algérien. Ce qui m’a véritablement frappé, est le fait que la population était gérée de façon coloniale. Dès les années 20, la France disposait d’un service de police destiné à la répression des Maghrébins, c’était un Etat policier et racialisé, mis en place consciemment. Et en 1970, un fils d’immigré qui vivait à Lyon dans un camp, pouvait être passé à tabac par des policiers qui avaient fait la guerre d’Algérie. C’est comme sices structures avaient perduré…
Source : Le Soir Echos