Manifestations à New York contre un projet de centre culturel musulman, tout près de Ground Zero. Mesures d'expulsion, en France, contre les communautés tziganes... Et puis début septembre, controverse en Allemagne autour des propos xénophobes d'un banquier en vue, social-démocrate par surcroît.
Les mesures et les déclarations se multiplient, dans plusieurs grands pays, pour stigmatiser les excès de l'immigration, légale ou illégale, et pour les relier – à tort ou à raison – à la délinquance et à la criminalité, à la perte d'identité des sociétés occidentales. Peut-on parler d'une nouvelle vague de xénophobie?
Il faut faire attention au choix des mots, et bien voir ce qu'on entend par « xénophobie ». Cela dit, il y a en ce moment, dans les grands pays d'immigration comme les États-Unis ou la France, et d'autres aussi qui ont découvert l'immigration plus récemment – l'Italie, l'Espagne – une conjoncture qui se prête à une remontée du phénomène.
Deux facteurs capitaux à cela. Primo, la crise économique mondiale, qui frappe surtout les États-Unis et l'Europe – à l'opposé de larges pans d'Asie et d'Amérique du Sud, en plein boom – et fragilise les classes moyennes. Cette crise ouvre un vaste espace à la démagogie politique, aux dénonciations simplistes et à la recherche de boucs émissaires.
Secundo, une crise d'identité mine depuis quelque temps déjà nos sociétés dites « avancées ». Qui sommes-nous? Que devient la nation? Allons-nous bientôt nous fondre dans une identité globale et postmoderne? Devant la montée du phénomène du multiculturalisme – plus ou moins reconnu et soutenu par les États concernés –, un mouvement de rejet se dessine, plus ou moins avouable, plus ou moins partagé dans diverses sociétés.
Un banquier anti-islamiste
La controverse qui vient d'éclater en Allemagne autour d'un livre (intitulé L'Allemagne court à sa perte) de Thilo Sarrazin, membre du bureau directeur de la Bundesbank, fait voir que nul n'est à l'abri de ces tendances. Même dans un pays qui, à cause de son lourd passé – et plus que tout autre –, avait « fait le ménage » dans ses sombres pulsions et ses vieilles culpabilités.
Mais si l'Allemagne suscite l'inquiétude au moindre faux pas sur ce registre – et y compris en Allemagne même : Thilo Sarrazin a été vertement dénoncé par la Bundesbank, par la chancelière Angela Merkel, par son propre parti social-démocrate (non, ce n'est pas un politicien d'extrême droite!) – ce qu'on voit ailleurs est probablement pire.
En France, les critiques fusent contre le président Sarkozy, qui a mis les Tsiganes dans sa ligne de mire, et qui voudrait révoquer la nationalité des immigrants naturalisés, s'ils ont commis des crimes graves... M. Sarkozy et son ministre de l'Intérieur, Brice Hortefeux, ont multiplié les interventions, au cours de l'été, sur le thème – au demeurant éculé en France – de l'insécurité, de la délinquance, et de son lien avec l'immigration.
Et puis il y a l'Italie, qui,malgré le fascisme, n'a pas un passé aussi lourd que l'Allemagne. L'Italie qui découvre aujourd'hui l'immigration de masse. L'Italie qui n'a pas fait son examen de conscience, face au racisme ou à la xénophobie, comme les Allemands l'ont fait depuis un demi-siècle. L'Italie où, en 2010, vous avez des ministres qui disent ouvertement : « Dehors les sales nègres ! » Inimaginable en Allemagne.
Donc oui. Malaise dans la vieille Europe. Craintes pour l'avenir, pour la préservation d'un modèle social soumis aux vents de la mondialisation et de l'immigration de masse. Mais pour l'instant, l'Allemagne reste un pays civilisé où l'on débat avec des mots.
Et où un Thilo Sarrazin trouve à qui parler!
En Amérique aussi
Mais il n'y a pas que l'Europe... En Arizona, une loi passée ce printemps stipule que les illégaux – surtout des Mexicains – peuvent être interpellés à tout moment, sur simple soupçon d'un policier. Qu'il est interdit de les héberger, de les transporter ou de les embaucher, sous peine de fortes amendes. Tout cela ressemble, dans l'esprit sinon dans la lettre, à ce qu'on voit en France. Même si le président Obama a dénoncé cette loi, aucun mouvement ne se dessine à Washington, au niveau législatif, pour contrer cette tendance xénophobe radicale qu'illustre l'Arizona.
Et puis il y a cette controverse de New York, résumée par une couverture spectaculaire du magazine Time : « Is America Islamophobic? » Ici, il ne s'agit pas de s'en prendre directement à des immigrants concrets qui deviennent des boucs émissaires, comme en Italie ou en Arizona. Mais le discours démagogique, globalisant et simplificateur, libéré par le débat sur la construction d'un centre culturel musulman près de Ground Zero, à Manhattan, participe du même esprit de la « crainte de l'autre ». Et vient surfer sur le grand traumatisme, toujours présent, du 11 septembre 2001.
Avec les élections de mi-mandat qui se profilent aux États-Unis, les politiciens démagogues de droite s'en donnent à coeur joie. D'un dérapage langagier à l'autre, le centre culturel musulman devient « mosquée », la mosquée devient « mosquée radicale », et la mosquée radicale, un « centre terroriste ». Adieu les nuances...
Et cette simplification du débat – sur la place de l'islam dans les sociétés occidentales, ou sur celle des immigrés dans ces sociétés –, on ne la constate pas uniquement en France ou aux États-Unis. Il y a là quelque chose qui dépasse les frontières...
Source : Radio Canada