Lors de son discours prononcé à Grenoble le 30 juillet, Nicolas Sarkozy a identifié la source de l'insécurité : "Enfin, il faut le reconnaître, je me dois de le dire, nous subissons les conséquences de cinquante années d'immigration insuffisamment régulée qui ont abouti à un échec de l'intégration."
&aCela posé, le président de la République propose un programme énergique : suppression du caractère automatique de l'acquisition de la nationalité française pour les mineurs délinquants à leur majorité, extension des motifs de déchéance de la nationalité pour les Français fraîchement naturalisés, expulsion systématique des Roms installés dans des campements illégaux vers la Roumanie. On est en droit de supposer qu'une politique d'une telle violence repose sur des arguments solidement établis. Or, il n'en est rien.
Les études statistiques de grande ampleur sur la relation entre immigration et criminalité sont, d'une manière générale, assez rares, et même inexistantes en France. Trois économistes anglais, Brian Bell, Stephen Machin et Francesco Fasani, viennent cependant de publier un travail approfondi sur ce sujet ("Crime and Immigration : Evidence from Large Immigrant Waves", IZA Discussion Papers n° 4996, juin).
Ils étudient précisément l'impact sur la criminalité des deux vagues d'immigration très importantes qu'a connues la Grande-Bretagne depuis les années 1990. La première vague, concentrée entre 1997 et 2002, a été essentiellement constituée de demandeurs d'asile en provenance d'Afghanistan, d'Irak et de Somalie. La seconde vague concerne les ressortissants des pays ayant intégré l'Union européenne en 2004 (Pologne, Hongrie, République tchèque, Slovaquie, Lituanie, Lettonie, Estonie).
Les auteurs de cette étude constatent que la première vague d'immigration n'a eu aucun effet sur le taux d'atteinte aux personnes, et un effet faible, mais positif, sur le taux d'atteinte aux biens. On peut ainsi attribuer environ 2 % du taux de criminalité total à la présence des demandeurs d'asile (soit 0,07 % sur un taux de criminalité total de 2,7 %).
En revanche, la seconde vague d'immigration n'a eu d'effet ni sur l'atteinte aux biens ni sur l'atteinte aux personnes. Enfin, la différence entre les deux vagues d'immigration s'explique très simplement. Les demandeurs d'asile ont beaucoup plus de difficultés à accéder à un emploi que les ressortissants de l'Union européenne. Ils sont donc davantage incités à se tourner vers des activités illégales pour travailler.
Un travail récent mené par Denis Fougère, Francis Kramarz et Julien Pouget ("Youth Unemployment and Crime in France", Journal of the European Economic Association, septembre 2009) permet de confirmer cette analyse. En effet, ces chercheurs sont parvenus, pour la première fois, à mettre en évidence en France une relation de causalité entre criminalité (notamment les cambriolages, vols et délits liés aux stupéfiants) et chômage des jeunes, celui-ci aggravant celle-là. Ce n'est donc pas l'immigration qu'il faut combattre, mais le chômage des jeunes !
Denis Fougère et Mirna Safi ont par ailleurs montré que l'acquisition de la nationalité française facilitait l'accès à l'emploi des immigrés ("Naturalization and Employment of Immigrants in France (1968-1999)", International Journal of Manpower, 2009). Il n'est donc pas exclu qu'a contrario, la politique d'exclusion souhaitée par Nicolas Sarkozy soit non seulement inefficace et moralement condamnable, mais aussi et surtout contre-productive.
Source : Le Monde