Le projet de loi relatif à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité doit être examiné en première lecture à l’Assemblée nationale à partir du mardi 28 septembre. Si les derniers chiffres du ministère de l’immigration montrent que la France n’a pas abandonné sa tradition d’asile, les étrangers sont souvent maltraités par les administrations
D’un côté il y a les statistiques, qui prouvent que la France reste une grande terre d’accueil. Le pays a ainsi procédé à 67 000 naturalisations par décret les huit premiers mois de cette année, soit 15 % de plus que l’année dernière pour la même période, et le nombre d’autorisations de long et de court séjour a augmenté de près de 10 %. De l’autre, force est de constater l’inhospitalité des services des préfectures qui gèrent le gros des flux d’étrangers : Paris, les départements de la petite couronne, Lille, Lyon, Marseille, Toulouse.La préfecture de Bobigny, dont la direction des étrangers reçoit 1 500 personnes chaque jour, remporte de loin la palme de l’administration la moins accueillante. Dans la file réservée aux demandeurs de titres de séjour, des centaines de personnes s’amassent chaque nuit sur l’esplanade du bâtiment dans l’espoir d’être les premières à retirer les précieux tickets d’attente qui permettent d’être reçu. Une situation qui favorise le trafic : les meilleures positions dans la queue se négocient autour de 20 €.
Une fois à l’intérieur, la galère continue. « J’ai reçu une convocation à la préfecture pour retirer un titre de séjour d’un an, trois mois après la date d’expiration de celui-ci, explique Moussa, qui attendait le précieux sésame pour travailler légalement. Quand je suis arrivé au guichet, on m’a donné un récépissé provisoire, le temps pour l’administration de renouveler le titre qui ne m’avait jamais servi… » Moussa devra donc revenir encore une fois. Pour lui, c’est aussi une dépense supplémentaire, avec un nouveau timbre fiscal à payer. Le tarif, pour une demande de ce type, est passé de 70 à 110 € depuis juin.
Un « Livre noir » sur l’accueil des étrangers à Bobigny
Une situation jugée « indigne » par une quinzaine d’associations locales, qui se sont rassemblées mardi dernier pour présenter un « Livre noir » sur l’accueil des étrangers à Bobigny. « Les choses pourraient être gérées autrement pour que cela se passe mieux, souligne Stéphane Maugendre, président du Groupe d’information et de soutien des immigrés (Gisti). D’autres préfectures décident d’ouvrir des guichets dans les mairies pour certaines démarches, et on donne des rendez-vous par Internet. »
Le préfet de Seine-Saint-Denis, Christian Lambert, a reconnu que la situation s’était dégradée depuis le début de l’année. Il a promis un « renfort en personnels et en moyens techniques », avec le développement du traitement des dossiers par voie postale, l’ouverture d’un accueil supplémentaire à Saint-Denis et l’installation de toilettes à proximité des files d’attente. Manière de reconnaître que l’attente peut être longue…
À Lyon, quai Sarrail, devant la direction de la réglementation de la préfecture du Rhône, il faut aussi prendre son mal en patience. Les uns viennent pour une première demande ou un renouvellement de titre de séjour, les autres pour une carte de résident ou un simple changement d’adresse. Ce jour-là, Asmaa est arrivée parmi les premiers, dès 5 heures du matin. « Je suis rodée, c’est la troisième fois que je viens », lâche cette ingénieur marocaine fraîchement diplômée venue pour valider sa photo d’identité.
À partir de 9 heures, peu de chance d’être reçu
« J’étais très légèrement de profil… À chaque fois, il faut patienter au moins cinq heures debout », témoigne-t-elle, hochant la tête en direction d’une femme enceinte endormie sur une chaise pliante qu’elle a pris soin d’apporter. Des conditions d’accueil sans commune mesure avec le service dédié aux étudiants étrangers, « parfait », estime Asmaa, ou celui qui est réservé aux demandeurs d’asile, jugé « satisfaisant » par la Croix-Rouge.
À partir de 9 heures, les portes du service à peine ouvertes, un agent de la préfecture vient avertir les derniers arrivés qu’ils ont très peu de chance d’être reçus. Liasses de justificatifs à la main, 320 personnes se pressent déjà derrière les barrières, sous le regard des passants et des policiers présents pour épingler les resquilleurs. « À quoi cela sert-il de regrouper les gens comme ça », accuse un retraité tunisien.
À la préfecture du Rhône, on se dit « conscient » des « conditions d’accueil difficiles » depuis qu’ont été supprimés les rendez-vous, en janvier dernier. « Les gens attendaient parfois quatre mois avant d’être reçus, justifie le secrétariat général. Aujourd’hui, ils peuvent obtenir un récépissé dans la journée si leur dossier est complet. » La préfecture souligne par ailleurs que l’accueil devrait s’améliorer en septembre 2011, avec le transfert de la direction de la réglementation dans un bâtiment neuf, où le nombre de guichets passera de 20 à 36.
À Lille, en revanche, les queues qui s’étiraient devant l’immeuble de la Cité administrative ont disparu en 2006. À l’époque, les étrangers se postaient eux aussi à l’aube devant la préfecture dans l’espoir de décrocher un rendez-vous. Émues par cette situation, plusieurs associations assuraient quotidiennement la distribution de café chaud dans les rangs. L’aménagement de nouveaux locaux dans l’ancien hôpital militaire de Lille a permis la réorganisation du service. Les équipes ont été renforcées et les horaires nettement allongés : désormais, les étrangers sont accueillis en préfecture entre 8 h 30 et 16 h 30, et l’attente dépasse rarement une heure.
Beaucoup de guichetiers n'ont pas la formation nécessaire
« Matériellement, les conditions d’accueil se sont beaucoup améliorées, constate la Cimade. Aujourd’hui, les difficultés se situent plutôt au niveau des guichets : les employés se permettent parfois de refuser des dossiers, après un pré-examen des critères par les agents d’accueil, alors qu’ils ne sont pas habilités à se prononcer sur le fond du dossier. Certains refusent aussi d’informer les demandeurs sur l’avancement de leur dossier. »
Le Comité des sans-papiers du Nord, qui accompagne en préfecture les étrangers, parle, lui, de refus arbitraires : « Parfois, les demandeurs se voient refuser le dépôt de leur dossier sans aucune justification, et des demandes identiques reçoivent un traitement totalement différent », explique Roland Diagne, leur porte-parole.
Pour Alexis Spire, sociologue au CNRS spécialiste de l’immigration, qui a enquêté plusieurs années dans les coulisses des services de préfecture (1), l’amélioration des services dédiés aux étrangers ne peut passer que par une politique de recrutement plus exigeante et rigoureuse.
« Au bas de l’échelle administrative, la majorité des guichetiers en poste dans les services d’accueil des étrangers n’ont pas choisi leur affectation, explique-t-il. Parmi eux, beaucoup sont vacataires ou intérimaires. Ils doivent faire face à l’absence de formation en droit, alors que leur fonction nécessite de maîtriser une matière dense de connaissances juridiques. Soumis à des rendements en termes de dossiers à instruire, ils ne peuvent que s’en remettre aux routines inculquées par leur hiérarchie. Pour eux, il est plus rapide de faire un refus ou de renvoyer les personnes chez elles avec un avis temporaire plutôt que de fournir des arguments pour l’octroi d’un titre de séjour. »
Le médiateur de la République devient également le défenseur des droits
En tant que médiateur de la République chargé de régler les problèmes entre les usagers et la préfecture de Versailles, Louis Trujillo partage ce constat. Chaque année, entre 350 et 400 étrangers des Yvelines saisissent son organisme pour protester contre l’accueil et le traitement qui leur sont réservés.
« En principe, le service doit nous répondre dans les deux mois après une réclamation, mais en réalité il y a rarement de retour de sa part », affirme-t-il. La situation pourrait néanmoins changer, si, comme le prévoit un projet de loi qui sera à l’étude d’ici la fin de l’année, le médiateur de la République devient également le défenseur des droits, avec des pouvoirs accrus en matière d’enquête et de vérification du bon fonctionnement des services.
Le ministère de l’immigration promet quant à lui des améliorations. Des titres de séjour de plusieurs années devraient être accordés aux étudiants étrangers à la rentrée universitaire 2011 pour leur éviter de revenir chaque année en préfecture pour un renouvellement. Dans dix-huit mois, les directions des étrangers devraient, en outre, être incluses dans l’opération « Qualifref », qui fixe dans tous les autres services des normes en termes d’efficacité et de qualité de l’accueil.
Source : La Croix