samedi 23 novembre 2024 05:39

Série noire raciste à Strasbourg

Les communautés juive et musulmane sont la cible d’actes délictueux. Les enquêteurs peinent.

Un sentiment de colère, de lassitude mais aussi d’impuissance est en train de monter face à la multiplication des actes d’intolérance qui frappent, depuis le début de l’année, Strasbourg et les communes voisines. En quelques mois, un homme portant la kippa a été agressé dans la rue par un déséquilibré, deux cimetières juifs et deux carrés musulmans ont été profanés, une église protestante a été incendiée, des tags islamophobes et des symboles nazis ont visé le gérant d’une société de distribution de viande halal, les véhicules d’un responsable de la communauté musulmane et du directeur franco-turc d’un cinéma ont été incendiés… Le week-end dernier, c’est le professeur de gynécologie Israël Nisand qui a découvert des croix gammées et des inscriptions antisémites à son domicile. Il venait de s’exprimer publiquement en faveur de la gratuité de la pilule contraceptive pour les mineures.

«Dialogue». La plupart des responsables politiques et religieux y voient l’œuvre de « groupuscules agissants » aux motivations variées qui « cherchent à mettre en péril le vivre ensemble », selon l’expression du sénateur-maire de Strasbourg, Roland Ries (PS). Pourquoi frapperaient-ils maintenant, dans sa ville ? Olivier Bitz (PS), adjoint au maire chargé des cultes et de la sécurité, procède par élimination et rejette la piste des tensions communautaires : «Ce qui est certain, c’est que le dialogue interreligieux est excellent. Les choses se passent très bien et il ne faudrait pas que ces actes gravissimes viennent contrarier la concorde.»«Il y a ici une réelle qualité de dialogue entre les cultes, qui n’est pas de façade et qui n’existe nulle part ailleurs, confirme Abdelaziz Choukri, délégué général de la Grande Mosquée de Strasbourg. C’est peut-être cela qui dérange les provocateurs et les semeurs de discorde…» «Je pense qu’il y a une volonté de nuire à Strasbourg, de mettre à l’épreuve son image de capitale européenne et des droits de l’Homme», avance encore Pierre Lévy, délégué régional du Crif (Conseil représentatif des institutions juives de France).

Minaret. Certains actes ciblent clairement la politique municipale en faveur de l’islam. Ainsi le domicile de Roland Ries a-t-il été souillé de tags peu après qu’il s’est déclaré favorable à la construction d’un minaret pour la grande mosquée de Strasbourg, dont le chantier subventionné par les collectivités locales touche au but. Au printemps, le conseil municipal a également voté à l’unanimité la création du premier cimetière public musulman de France.

Une initiative qui a ulcéré le conseiller régional FN Patrick Binder, organisateur d’un récent «apéro alsacien» à Strasbourg, sur le mode «saucisson-pinard». Aujourd’hui, ce dernier est montré du doigt. «Je ne pense pas qu’il soit à l’origine de ces actes, mais les actions qu’il mène encouragent le passage à l’acte», soutient ainsi Abdelaziz Choukri.

Alors que l’opposition réclame la convocation urgente d’un Comité intercommunal pour la sécurité et la lutte contre la délinquance ou l’installation de systèmes de vidéo-surveillance dans les cimetières, Roland Ries préfère contre-attaquer sur le terrain des idées. Il lance un «Appel de Strasbourg» contre les actes xénophobes et racistes, invitant les habitants à le signer en masse pour former « un front républicain de refus de l’inacceptable ». Il réclame également «l’accélération» des nombreuses enquêtes ouvertes. «Il est temps que l’une ou l’autre affaire soit élucidée pour qu’il y ait un effet dissuasif», estime également Pierre Lévy.

Coran brûlé. « Les gens sont conscients des moyens déployés pour les enquêtes, mais l’absence de résultats rend illisible l’action des pouvoirs publics», abonde Abdelaziz Choukri. Pour l’heure, les investigations butent sur le manque d’indices probants. « Des gens ont été interpellés suite aux éléments rassemblés, mais c’est resté sans suite parce qu’on n’avait rien pour les accrocher», commente le procureur adjoint de Strasbourg, Gilles Delorme. Une «cellule spéciale» a été mise en place au sein de la sûreté départementale, chargée de la plupart des enquêtes. Hier, le parquet a annoncé qu’un homme de 30 ans serait cité à comparaître pour «incitation à la haine raciale» après avoir posté sur Internet une vidéo où il brûle une édition du Coran puis urine sur les cendres «au nom de la liberté».

Source : Libération.fr

Google+ Google+