Chacun se réjouit de l’existence et de la pérennité du beau trimestriel qu’est « Le Magazine littéraire du Maroc ». On regrette seulement que tarde à paraître sa version en langue arabe, promise par son fondateur Abdeslam Cheddadi. Si mon « Anthologie des écrivains marocains de l’émigration » (La Croisée des chemins, 2010) y a pâti d’une recension inepte, au printemps, il n’empêche que le numéro consacré cet été aux écrivains de la diaspora marocaine avec le concours du Conseil de la communauté marocaine à l’étranger est réussi.
Les sommaires du MLM sont souvent riches. Malheureusement, une certaine complaisance est à déplorer qui fait voisiner, de gré ou de force, des auteurs médiocres qu’on exalte à tort et d’autres remarquables qui doivent supporter la lourdeur de textes niais. Il m’a semblé que ce défaut de sélection, rédhibitoire et récurrent, n’entachait pas trop ce numéro hors-série. Le ton de Bouthaina Azami Tawil dans « Mamou, histoire d’un enfant-soldat », est sans doute trop élégiaque, mais des émotions, des douleurs et des drames sont rendus perceptibles. In fine, le lecteur est touché.
Des dessins et des peintures, ce numéro du MLM en est plein, grâce aux reproductions d’œuvres de Aïssa Ikken. C’est un plaisir pour les yeux.
On s’est amusé à lire Allal Bourqia évoquant Amir Satli, parlementaire de la région de Bruxelles : «Il ne m’avait pas pardonné d’avoir collé sa photo de manière inclinée dans l’une des circonscriptions électorales».
Bourqia semble avoir parfaitement connaissance du destin des écrivains, puisqu’il cite le proverbe lourd de reproches : «Sept métiers et pas de gagne-pain».
On quitte la Belgique pour Montréal avec « Halloween orientale » de Kamal Benkirane qui montre un vrai tempérament de nouvelliste : il a le sens de la chute. « Quand la chance tourne » de Laïla Lalami, écrit en anglais, renouvelle la preuve que cette nouvelliste sait faire montre de tact lorsqu’elle met en scène des personnes cherchant à s’en sortir par tous les moyens.
Dans « Ti t’appelles Aïcha, pas Jouzifine », Mina Oualedhadj, native d’Al Hoceima et vivant en Belgique, sait raconter avec un mélange de verve et de tendresse, donner à sympathiser.
Une des réussites de ce numéro est d’accueillir dix contributions de femmes pour onze contributions d’hommes. Il faut reconnaître qu’avec le chapitre extrait du « Ciel, Hassan II et maman France » de Mohamed Hmoudane qui vient de paraître à la Différence, on change tout à fait de catégorie. Bien qu’ayant physiquement l’apparence d’un freluquet, Hmoudane est un poids-lourd dans son genre, ricaneur et intrépide, doué d’un vrai sens de la langue et usant de la liberté d’écrire sur ce qu’il vit, sur qu’il fut et qui sont les autres. Les Belgo-marocains sont très nombreux au sommaire qui accueille le « Good night Mr. Magritte ! » de Issa Aït Bélize, extrait d’un roman à paraître qui semble bel et bien, cette fois, plus décidément belge que marocain. Mais attendons d’en découvrir la suite !
Bavard et bien peu efficace, le « Jamais sans mon foulard » de Rachida M’Feddel qui vit au Canada.
Tandis que Abdellah Taïa donne un texte de 2005 où il tâche de dire ses trente ans en même temps qu’il affirme : «En juillet dernier, Dostoïevski et Jean Genet sont redevenus mes écrivains préférés», le meilleur du texte de Tahar Ben Jelloun est justement une citation de Genet : «On n’est pas artiste sans qu’un grand malheur s’en soit mêlé». Il serait temps que notre cher Tahar lise Réjean Ducharme afin de ne plus écrire que le Canada «peut séduire par ses grands espaces, par sa neige et ses rigueurs, mais ne suscite pas de grands romans». Je lui recommande donc « L’Hiver de force » (Gallimard) de Ducharme ! Deux textes beaucoup plus convaincants succèdent aux arguties plus au moins lyriques de TBJ. « De l’exil comme plus que patrie » par Tahar Adnan (traduit de l’arabe par Jalal El Gharbi) est une réflexion sur l’exil et l’écriture qui me séduit plus que ses poèmes. En écho et comme si Adnan dialoguait avec lui, on appréciera la réflexion de Fouad Laroui « Etre soi-même ou jouer un rôle : le dilemme de l’écrivain migrant ». Enfin ! C’est dit !
Les lecteurs du MLM auront le privilège de découvrir la prose de Fawzi Boubia avec « Les Métamorphoses de l’aigle allemand » (traduit de l’allemand).
Le texte de Siham Bouhlal « Poésie et langue » est un éloge exalté de la supposée toute puissance de la poésie tandis que Abdelhak Serhane livre une sorte d’autobiographie littéraire et politique : « Le devoir d’insolence ». Enfin, vous lirez « L’Arabe » de Samira El Ayachi, un texte brouillon et brûlant qui contient des passages d’une vraie force, comme si écrire était le raccourci emprunté
pour crier.
11 octobre 2010
Source : Le Soir Echos