Longtemps les Pays-Bas ont été le pays modèle en matière de tolérance et de respect des libertés. Mais avec l'arrivée d'une immigration en provenance du monde musulman, les choses se sont compliquées. Les difficultés d'intégration des enfants de la seconde génération se traduisent par des confrontations culturelles frontales.
Les musulmans n’en demandaient pas tant. Hier inexistants au regard des Occidentaux, ils nourrissent désormais leurs préoccupations, pour ne pas dire leurs angoisses. A titre d’illustration, cette édition (30/09/2010) du quotidien français Le Monde, dans laquelle sont traitées en bonne position pas moins de trois actualités ayant un rapport, direct ou indirect, avec l’islam.
La première se rapporte à la burqa. Rien de nouveau sous le soleil, dirait-on, sauf que cela concerne ce lointain continent qu’est l’Australie. Alors que les musulmans n’y constituent qu’une infime minorité, le voile intégral y fait aussi couler l’encre. Un artiste australien inconnu s’est ainsi offert un moment de célébrité en réalisant sur la façade de son atelier la peinture murale d’une femme en burqa, surmontée de l’inscription «Say no to burqa» (dites non à la burqa). Les réactions violentes provoquées par cette initiative et la crainte de voir celle-ci récupérée par un groupe néonazi ont vite conduit le peintre à repeindre le mur mais, selon la correspondante du journal, cet épisode illustre l’impact important que le débat français sur la burqa a eu en Australie. Bien que la présence musulmane dans ce pays soit tant récente que faible (1, 7% de la population), depuis les attentats du 11 Septembre, la société australienne manifeste la plus grande méfiance à l’égard de l’islam. D’où cet intérêt surprenant manifesté par les Australiens pour une polémique qui ne les concerne ni de près ni de loin.
Autre actualité, en provenance directe cette fois-ci du monde musulman, ces incidents survenus à Istanbul le 21 septembre dernier. Lors de la tenue d’un vernissage, trois galeries d’art ont été prises d’assaut simultanément par plusieurs dizaines d’hommes armés de bâtons, de couteaux et de bombes de gaz lacrymogène. Ces incidents ont secoué la capitale turque et attiré les caméras du monde entier. A la source d’un pareil déferlement de violence, un «choc des cultures» interne à la société turque. Situé au cœur du centre-ville, le quartier Tophane abrite une population traditionnelle. Depuis 2008, des espaces d’expositions dédiés à l’art contemporain s’y sont installés. Leur ouverture a eu pour conséquence de ramener dans le quartier des trentenaires branchés mais aussi de faire quadrupler les prix de l’immobilier et de déloger les petits commerçants. Les auteurs de l’attaque ont stigmatisé la consommation publique d’alcool «par des étrangers» lors de ces vernissages. La mise en présence de deux groupes sociaux aux modes de vie opposés et la perturbation apportée dans la vie des uns par l’arrivée des autres explique ces incidents. Ce qu’un lecteur occidental tendra cependant à retenir d’une telle actualité reste l’image caricaturale de croyants dont la violence serait le seul mode d’expression.
Troisième «actu» rapportée par le journal, l’arrivée de l’extrême-droite (PVV) au gouvernement néerlandais, une première depuis 1939. Là aussi, la problématique des musulmans émerge en filigrane, le leader du PVV n’étant autre que Geert Wilders qui honnit l’islam et l’exprime comme rarement homme politique le fit. Pour rappel, Geert Wilder est le réalisateur du film Fitna et l’auteur de déclarations multiples sur «l’islam fasciste». Poursuivi pour «incitation à la discrimination et à la haine contre des musulmans», son procès doit reprendre sous peu au tribunal d’Amsterdam. Longtemps, les Pays-Bas ont été le pays modèle en matière de tolérance et de respect des libertés. Mais avec l’arrivée d’une immigration en provenance du monde musulman, les choses se sont compliquées. Les difficultés d’intégration des enfants de la seconde génération se traduisent par des confrontations culturelles frontales. La résultante sur le plan politique est cette percée majeure de l’extrême-droite qui la place aujourd’hui dans la coalition au pouvoir.
Longtemps ils ont été des étrangers de passage. Longtemps ils ont cultivé la plus grande discrétion. Mais, aujourd’hui, les musulmans en Europe sont des citoyens à part entière. Ils n’entendent plus raser les murs et le font savoir. En même temps qu’ils revendiquent leurs droits, ils affirment leur différence avec une véhémence souvent perçue comme agressive. D’où ces débats autour de l’identité nationale un peu partout en Europe. Après Nicolas Sarkozy, c’est au tour de la chancelière allemande, Angela Merkel, d’affirmer qu’on ne peut être citoyen de la République d’Allemagne sans remplir des conditions données(connaissance de la langue, respect des lois, partage de certaines conceptions…).
On assiste indiscutablement à un «choc des cultures». Mais ce choc, comme le montrent les incidents d’Istanbul, ne concerne pas les seules sociétés européennes. Ce liant qui fait vivre ensemble se dilue du fait de la réalité actuelle du monde. Tenter de redéfinir une «identité nationale» représente un combat d’arrière-garde. Car ici comme ailleurs, c’est en terme d’«identité mondiale» qu’il va bien falloir se résoudre à commencer à penser. Si les Européens doivent apprendre à vivre avec l’islam, celui-ci, ou plutôt les musulmans, sont aussi dans l’obligation de commencer à accepter -et à respecter- la culture de l’autre.
Source : La Vie éco