Film franco-belgo-luxembourgeois, sorti la semaine dernière en Belgique est une fiction documentée et militante sur la reconduite aux frontières des sans-papiers.
Certes, l’action d’Illégal se déroule en Belgique, mais pour qui a visité un centre de rétention administrative (CRA), en France, c’est du pareil au même. Des étrangers en attente d’expulsion y sont enfermés, dont le seul tort est de s’être maintenus sans titre de séjour dans un pays.
Tania, l’héroïne russe du film, vit en Belgique depuis huit ans. Bien intégrée, elle travaille pour une société de nettoyage industriel, et élève seule son fils adolescent, Ivan, en tentant de tenir à distance le mafieux russe qui lui fournit un logement et des faux papiers. Un jour, elle est contrôlée dans la rue, et emmenée dans un CRA où se déroule le restant du film. Dans ces centres, les étrangers ne font, en théorie, que passer. En France, la durée maximum de rétention était jusque-là de trente-deux jours, mais la loi sur l’immigration en cours d’examen au Parlement prévoit de la porter à quarante-cinq jours. En Belgique, elle est de huit mois. Pendant ce laps de temps, les retenus attendent. Font la queue au téléphone pour communiquer avec leurs proches, reçoivent les visites de leurs avocats souvent impuissants, passent devant le juge qui apprécie les mesures de privation de liberté et de reconduite à la frontière, jusqu’au jour redouté de l’expulsion.
«Révolté».Illégal fait penser à Welcome, le film de Philippe Lioret, avec Vincent Lindon dans le rôle d’un maître nageur s’attachant à un jeune Kurde désireux de passer en Angleterre à la nage. Olivier Masset-Depasse, le réalisateur, a voulu faire une fiction documentée et militante. «Un jour, j’ai découvert que j’habitais à 15 kilomètres d’un de ces centres, raconte-t-il.Illégal est une réaction épidermique : savoir qu’un centre enfermait des femmes et des enfants innocents à quelques kilomètres de chez moi m’a révolté. Je n’avais qu’un seul moyen de réagir : utiliser la puissance du cinéma et faire un film.» L’action se concentre sur le personnage de Tania, interprété par l’actrice belge Anne Coesens.
Son fils ayant échappé à l’arrestation, cette femme va braver l’administration, la justice et la police, pour ne pas être renvoyée dans son pays. Et heureusement, puisque cela va permettre au réalisateur de la suivre jusqu’au moment fatidique de l’expulsion. La scène est brutale, mais Olivier Masset-Depasse n’invente rien. Il met en images ce que les défenseurs des droits de l’homme dénoncent. Les jambes entravées, les bras maintenus dans une sorte de camisole de force, Tania est portée dans l’avion. Lorsqu’elle tente de protester, les policiers la plient en deux et la maintiennent dans cette position en appuyant sur chacune de ses omoplates. Cette technique, très utilisée par les escortes pour faire taire les étrangers expulsés, a causé la mort, par asphyxie, de plusieurs d’entre eux.
Dans son malheur, Tania a de la chance. Les cris qu’elle réussit à pousser alertent les passagers, qui ne sont pas freinés par la crainte de la sanction : en France, l’«entrave à la circulation d’un aéronef» est punie de cinq ans d’emprisonnement et de 18 000 euros d’amende. Enfin, le commandant de bord ordonne qu’on la débarque, ce qui n’est pas non plus la règle. Tabassée par les policiers dans le fourgon qui la ramène au centre, Tania reprend connaissance à l’hôpital, prétexte à un happy end relatif.
Suspense. Filmé au plus près des visages, sans pathos, Illégal est un bon thriller. Car, en matière d’expulsions d’étrangers, il y a aussi un certain suspense. En France, 30% seulement des sans-papiers placés en centre de rétention sont effectivement mis dans l’avion. Sur les 70% restants, 40% sont libérés suite à une décision de justice, 30% suite au refus du pays d’origine de délivrer le laissez-passer consulaire permettant l’expulsion.
Source : Libération.fr