samedi 23 novembre 2024 11:53

L’Europe se ferme aux migrations

Alors que l’Europe a choisi la libre circulation et la coopération économique comme pilier d’une croissance partagée, en choisissant de fermer ses frontières, elle prive de fait ses voisins de cette croissance. Ceci alimente les écarts et les migrations. Il y a donc une double absurdité en appliquant pas aux autres une recette qui réussit pour nous même et en fermant des frontières qui alimentent le phénomène contre lequel elles sont censées protéger... décryptage...

I) GENESE des TEXTES / ETAT des LIEUX

I.1) Schengen

Tout commence par l'accord Schengen en 1985 et la convention du même nom en 1990. Ces textes mettent en œuvre la libre circulation des ressortissants des Etats membres et la suppression des contrôles aux frontières intérieures.

Ces dispositions entrainent le déplacement de ces contrôles aux frontières extérieures. Le contrôle des flux migratoires est transféré de fait aux Etats membres limitrophes, généralement nouvellement entrés dans l'Union.

Ce sont aussi ces textes qui posent le principe selon lequel un seul des Etats membres de l'espace Schengen est responsable de l'examen d'une demande d'asile. Un fichier est mis en œuvre, le SIS (Système d'information Schengen) pour permettre aux Etats membres de refuser l'accès d'un étranger à son territoire ou de l'éloigner du territoire.

I.2) Le Traité de Maastricht

Le traité de Maastricht (1992) inscrit la politique d'asile et d'immigration parmi les questions d'intérêt commun.

I.3) Le Traité d'Amsterdam

Le traité d'Amsterdam transfère la politique d'asile et d'immigration dans les politiques communautaires. L'article 63 établit que le Conseil arrête dans les 5 ans des mesures relatives aux :

· Critères et mécanismes de détermination de l’Etat responsable de l’examen d’une demande d’asile ;

· Normes minimales d’accueil des demandeurs d’asile ;

· Normes minimales concernant les conditions à remplir pour pouvoir prétendre au statut de réfugié ;

I.4) Le sommet de Tampere

Il s’est tenu les 15 et 16 octobre 1999 et a invité les Etats à définir un « régime d’asile européen commun » ( et non plus de seules normes minimales) fondé sur l’application de la convention de Genève devant « déboucher sur une procédure d’asile commune et un statut uniforme valable dans toute l’Union ».

I.5) Le Conseil européen de Laeken

Lors de ce conseil qui a eu lieu les 14 et 15 décembre 2001, les Etats ont notamment affirmé qu’il est nécessaire d’intégrer la politique des flux migratoires dans la politique extérieure de l’Union européenne, notamment par la signature d’accords de réadmission, et d’équilibrer la protection des réfugiés et les capacités d’accueil de l’Union et de ses Etats membres.

I.6) Le Conseil européen de Thessalonique

Le Conseil européen réuni à Thessalonique les 19, 20 et 21 juin 2003, adopte le projet de traité constitutionnel. En matière d’asile et d’immigration, le texte propose que les instruments juridiques soient dorénavant adoptés en procédure de co-décision entre le conseil des ministres, votant à la majorité qualifiée et le parlement. Ce traité n'a pas été ratifié.

I.7) Le Conseil européen de Bruxelles

Lors du Conseil européen des 4 et 5 novembre 2004, les chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union Européenne ont adopté le "Programme de La Haye", programme pluri-annuel sur cinq ans couvrant le domaine de la liberté, de la sécurité et de la justice. Il fait suite au programme de Tampere adopté en 1999 ;

Le programme de La Haye prévoit notamment en matière d’asile les mesures suivantes :

· D’ici à 2010, instauration d’un système européen commun d’asile, doté d’une procédure et d’un statut communs s’appliquant aux bénéficiaires du droit d’asile ;

· Renforcement des partenariats avec les Etats-tiers afin d’aider ceux-ci à améliorer leurs systèmes d’asile, à mieux lutter contre l’immigration illégale et à mettre en œuvre des programmes d’aide au retour ;

· Mise en place d’une politique facilitant le retour dans leurs pays d’origine des étrangers en situation irrégulière ;

· Création d’un fond pour le contrôle des frontières extérieures de l’Union avant la fin de l’année 2006 ;

· Mise en place opérationnelle, d’ici à 2007, du Système d’Information Schengen II (SIS II) - une base de données regroupant des informations sur des biens dérobés et sur les personnes objets de mandats d’arrêt ;

· Établissement de règles communes en matière de visas (création de centres de demande communs, introduction de données biométriques dans le système d’information sur les visas).

I.8) Mesures d’application

Est créé en septembre 2000 un Fonds européen pour les réfugiés, destiné à organiser la répartition des fonds communautaires entre Etats membres en fonction du nombre de leurs demandeurs d’asile.

Le règlement "Dublin II" adopté en février 2003, remplace la Convention de Dublin fixant les critères de détermination de l’Etat responsable de l’examen d’une demande d’asile.

Le 15 janvier 2003, entre en fonction le système EURODAC qui permet la comparaison des empreintes digitales des demandeurs d’asile au sein de l’Union européenne La directive sur la protection temporaire est adoptée en juillet 2001, et prévoit une protection spécifique en cas d’afflux massif de personnes déplacées.

La directive "procédure" du Conseil concernant les normes minimales relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir prétendre au statut de réfugié ou les personnes qui, pour d’autres raisons, ont besoin d’une protection internationale, et relatives au contenu de ces statuts est adoptée le 29 avril 2004 ( JOCE 30.09.04) .

Le Conseil a dégagé « une orientation générale » lors de sa réunion du 30 avril 2004 sur la directive relative à des normes minimales sur la procédure d’octroi et de retrait du statut de réfugié.

I.9) Directive "Retour"

Votée le 18 juin 2008 par le Parlement et adoptée le 9 décembre 2008 par le Conseil, le but de la Directive Retour est d’harmoniser les politiques migratoires en Europe concernant les conditions d’enfermement et l’éloignement des personnes en situation irrégulière : possibilité d’un enfermement jusqu’à 18 mois, enfermement et éloignement des mineurs, renvoi vers des pays tiers qui ne sont pas le pays d’origine des personnes, et jusqu’à 5 ans de bannissement du territoire européen pour ces personnes éloignées.

I.10) le Pacte Européen sur l'immigration et l'asile Conseil européen des 15 et 16 octobre 2008

Le pacte européen sur l’immigration et l’asile n’a jamais constitué une véritable innovation puisqu’il s’inscrit dans la continuité des politiques européennes. Par ailleurs, ce pacte n’est qu’une déclaration d’ordre politique qui n’a aucune valeur contraignante. En ce qui concerne son contenu, il a été progressivement vidé de sa substance sur certains points qui étaient pourtant chers à la Présidence française, notamment sur l’interdiction des régularisations massives, le contrat d’intégration ou l’harmonisation en matière d’asile. Sa portée est donc très limitée.

II) UN SYSTEME CULTUREL DANGEREUX

La place de l'asile et de l'immigration que donne l'Europe dans ses textes et ses politiques procède de conceptions culturelles, c'est à dire d'un système de pensées, de concepts intellectuels et philosophique et de représentations. Essayons de lire dans la réalité visible, le but ultime poursuivi et la matrice qui est à son service.

Dans un premier temps, on observe que par ses textes l'Europe considère, à juste titre, que l'asile et l'immigration sont une prérogative commune. Les Etats membres considèrent que l'harmonisation en ce domaine est nécessaire, ce qui n'est pas incompatible, voir essentiel, avec l'idée de développement humain en la matière.

Les textes réaffirment même l'attachement à la Convention européenne des Droits de l'Homme et à la Convention de Genève. Malgré cela les Etats membres n'ont toujours pas ratifier la convention internationale des droits des travailleurs migrants pourtant votée à l'ONU et par le Parlement Européen.

Dans un deuxième temps, on ne peut que constater que l'harmonisation ne s'oriente pas vers la concrétisation des droits fondamentaux et des libertés individuelles. Au contraire, l'harmonisation défend les intérêts particuliers des Etats en alignant les politiques d'immigration et de traitement de l'asile sur les politiques les plus restrictives et les moins généreuses. La plus récente illustration est celle de la directive "Retour", dite "de la honte" par les ONG. Cette directive entend harmoniser les conditions d'enfermement et d'expulsion des étrangers en instituant par exemple la durée maximale de rétention à 18 mois alors qu'en France, elle est de 32 jours (Rappelons-nous qu'il fut un temps où cette durée était de 5 jours ... ).

Le projet européen ne s'achemine donc pas vers la civilisation de l'intérêt suprême de l'Humanité mais celle du primat de l'intérêt particulier du plus fort. Il s'agit alors de s'engager dans ce combat culturel entre la recherche de l'intérêt général et la soumission aux intérêts particuliers dominants.

Dans un troisième temps, il convient d'analyser le contenu des politiques d'asile et d'immigration de l'Europe. Force est de constater que l'Europe considère l'asile comme une composante de l'immigration et qu'elle considère l'immigration comme une menace à contenir. En effet, l'asile se trouve dans les mêmes chapitres que l'immigration. Pourtant, on pourrait considérer l'asile dans d'autres chapitres : celui des libertés individuelles, ou celui de la protection sociale, par exemple. Ce choix n'est pas anodin, il s'agit de parvenir à se dégager de nos obligations internationales (convention de Genève, ...) qui s'inscrivent dans la recherche de l'intérêt général. Ainsi, l'opinion publique est tentée de concevoir l'asile comme une menace, demandée à tord par des fraudeurs malveillants. Sinon, comment interpréter le fait que l'Europe choisit d'imposer aux demandeurs d'asile le pays qui examinera leur demande au lieu de leur laisser ce choix qui reste compatible avec l'exigence européenne de ne faire qu'une demande dans l'espace Schengen. On pourrait aussi parler de la notion de "pays sûr" qui permet aux Etats membres de traiter les demandes d'asile qui en émanent, plus rapidement par la procédure dite "prioritaire", qu'il conviendrait de comprendre comme "procédure dégradée" du point de vue du demandeur.

Concernant l'asile, l'Europe ne se dirige pas vers un projet qui cherche à mettre les demandeurs dans les meilleures conditions pour établir leur demande. Au contraire, elle s'organise pour que les demandes d'asile soit examinée par les pays limitrophes, généralement nouvellement entrés dans l'Union donc plus fragile économiquement, politiquement et démocratiquement. Il a même été étudié à 2 reprises la possibilité de confier l'examen des demandes d'asile à des pays tiers comme la Libye ou le Maroc , qui sont loin d'être des démocraties exemplaires et qui pour certains n'ont même pas signer la convention de Genève !

Concernant l'immigration, force est de constater que les dispositions européennes ne cherchent pas à décupler les efforts communs en matière d'intégration, d'apprentissage de la langue, d'accès à l'emploi, de regroupement familial. Au contraire, la politique d'immigration vise essentiellement à contrôler les frontières et les populations et à maîtriser les flux migratoires selon la formule consacrée. Ainsi a été mise en place l'Agence Frontex qui met en commun des moyens policiers et militaires sophistiqués pour aider les Etats à protéger leurs frontières. En 2008, Frontex a été doté de 70 millions d'euros pour 2000 migrants interceptés, soit 35 000 € par migrant. Un chiffre a mettre en relation avec le résltat d'une étude allemande qui estime à 50 000 € l'apport d'un travailleur migrant en terme de contributions... En 2007, au moins 2500 personnes ont trouvé la mort à nos frontières. Voilà où l'Europe décide d'investir et de consacrer la ressource collective en matière d'immigration : dans le contrôle, l'enfermement et l'expulsion. Culturellement, le message est clair, celà incite les opinions publiques à considérer l'immigration comme l'ennemi extérieur au lieu de le considérer comme une richesse. Les pauvres sont assignés à résidence au risque d'accroitre les risques de conflits, de famine ou de catastrophe sanitaire (voir les émeutes de la faim).

III) LE COMBAT CULTUREL

Le combat à mener n'est pas celui des fins réglages d'une régulation par une hypothétique Europe sociale et politique. Il est ailleurs, il est plus profond, il est plus frontal. Il s'agit de la construction de la conscience collective, de la formation des esprits et des modes de pensée. Il s'agit de civilisation et de l'avenir de l'Humanité. Nous l'avons vu précédemment, nous sommes entre deux conceptions de l'Humanité, de son destin, de son Histoire et de son organisation. L'une pose comme principe originel la primauté à l'intérêt particulier le plus fort, l'Humanité s'organisant mécaniquement autour des forces principales en présence. Et l'autre dont le principe fondateur est la recherche de l'intérêt suprême de la multitude, l'étude de l'éthique qui permet la vie collective et la pratique de relations solidaires et fraternelles.

Sur le terrain, les forces du progrès humain doivent déconstruire ce que les forces du progrès financier construisent.

Dans un premier temps, il faut sortir de la logique de précarisation des migrants pour instaurer une logique de régularisation selon des critères larges qui garantissent l'exercice des droits fondamentaux et la jouissance des libertés individuelles. Car n'en déplaise aux généreux sans raison, il faut des critères, ne serait-ce qu'avoir une identité est un critère... Nous devons faire le pari de l'égalité du droit à la mobilité en inventant un visa qui permette d'aller et de venir au gré des besoins, des projets et des contraintes.

Ensuite, il faut faire table rase des directifs «accueils", "procédure" et "retour". Il faut considérer l'asile comme un droit fondamental à garantir et non comme une composante de l'immigration. Il faut permettre à un individu de choisir le pays où il veut que sa demande d'asile soit examinée. En effet, son choix peut être orienté par la maîtrise de la langue, par l'attachement familial, intellectuel ou culturel qui peut avoir avec ce pays. Remarquons au passage que ce qui va orienter son choix sera autant de facteurs prépondérants de l'intégration dans la communauté nationale d'accueil.

Enfin, il faut démanteler Frontex et consacrer ces ressources collectives mobilisées pour des programmes d'éducation, de santé, de logement, de cohésion sociale, véritables outils de socialisation. Il faut favoriser des politiques de solidarité Nord-Sud réellement efficaces et véritablement orientées vers le développement humain en déconnectant l'aide internationale de la maitrise des flux migratoire ou des réadmissions d'expulsés et en sécurisant et assurant la gestion collective des transfert de fond des travailleurs migrants vers leur pays d'origine.

CONCLUSION

Peut-être ces propositions paraîtront angéliques, farfelues ou bien-pensantes pour certains. Mais n'est-ce pas insensé d'être dans une situation où nous favorisons les départs de population en creusant les écarts de richesse et de condition de vie n'écoutant que notre intérêt particulier d'occidental et où en même temps nous fermons nos frontières pour les empêcher de passer quitte à réduire nos libertés.

N'est-il pas imbécile d'augmenter le débit d'un fleuve et d'agrandir le barrage en même temps ? Depuis 30 ans, les écarts se creusent en même temps que les murs s’élèvent. Qui est le fou ? Qui est le sage ?

Il est grand temps de prendre conscience que tout est lié et qu'être responsable ce n'est pas de défendre à tout prix ses intérêts particuliers mais c'est de rechercher l'intérêt général.

Le travail d’aujourd’hui est de 3 ordres :

un travail pédagogique/militant pour déconstruire les peurs et les préjugés (« gagner dans les têtes pour gagner dans les urnes ») et fortifier la maîtrise intellectuelle de ce domaine.

un travail de résistance et d’opposition aux méfaits réels de cette politique (soutien aux sans-papiers, aide juridique personnalisée, organisation de collectifs d’étrangers en difficulté –travailleurs, couples mixtes, …-, manifestation, événements militants, actions juridiques militantes, …)

un travail d’anticipation et de mobilisation pour que les partis progressistes susceptibles de devenir majoritaire en Europe aient une action réelle sur le démantèlement de cette politique migratoire européenne pour en instituer une nouvelle, basée sur la recherche de l’intérêt suprêmes de l’Humanité, l’égalité du droit à la mobilité, le respect des droits fondamentaux de la personne humaine.

Source : Agora

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