samedi 23 novembre 2024 11:59

La discrimination positive, faisons-la !

En Europe, la montée des populismes doit aujourd'hui nous alerter. La crise, l'immigration clandestine ainsi que la recrudescence des menaces terroristes ont attisé les peurs et nous voyons que les extrêmes en tous genres gagnent du terrain chez la plupart de nos voisins européens.

Les Européens doivent être réalistes et ne doivent par verser dans les amalgames. Concernant l'immigration, l'Europe en a eu besoin et en aura encore besoin. Rappelons que la France a toujours été une terre d'accueil, en particulier pour ceux qui se sont battus aux côtés de nos soldats pour notre liberté et notre souveraineté, pour ceux qui ont contribué à sa reconstruction et à la prospérité de grandes industries comme celles de l'automobile, des travaux publics et de bien d'autres.

Aujourd'hui, il faudrait reparler de l'immigration de manière apaisée, et pour cela nous devrions enfin mettre en œuvre une politique efficace et ambitieuse d'intégration. La politique d'intégration est l'affaire de tous. Face aux peurs et aux sentiments d'injustice légitimes qu'a engendrés la crise, nous devons, plus que jamais, résister à la tentation du repli sur soi et au rejet de l'autre. Surtout que, bien souvent, nous nous trompons d'adversaire.

Ainsi, quand nos compatriotes de culture ou de confession musulmane sont souvent pris pour cible, il faut clairement distinguer l'infime minorité de personnes qui utilise l'islam soit pour justifier des pratiques contraires aux croyances pacifiques de la grande majorité des musulmans, soit pour défier les valeurs de la République. Nul ne peut ignorer que c'est la majorité silencieuse des musulmans qui est la première victime des agissements de cette minorité intégriste.

Comment ne pas s'inquiéter d'une situation comme celle vécue par les habitants de Malmö en Suède, où un tueur s'en prend à la population immigrée de la ville depuis un an ? Et que dire d'un récent sondage de la fondation allemande Friedrich-Ebert, qui montre que 58 % des sondés sont favorables à la limitation des "pratiques religieuses des musulmans". Oui, l'intégration est "l'affaire de tous", et nous avons tous la responsabilité morale d'agir pour infléchir ces ressentiments et éviter les outrances des partisans de l'immigration zéro ou des partisans des régularisations massives.

En France, on aime parler d'intégration, on aime en débattre ; bien souvent pour en pointer seulement les échecs. En matière d'intégration, nous avons toujours voulu "plaquer des mécanismes d'intégration identiques", quelle que soit l'origine de ces immigrés qui ont évolué depuis de nombreuses années. Quant à leurs enfants, des études récentes démontrent que le système éducatif est devenu de moins en moins intégrateur.

D'ailleurs, l'assouplissement de la carte scolaire devait justement réduire les inégalités sociales. Ce n'est pas le cas, cet assouplissement n'a pas permis la mobilité souhaitée. En 2009, un rapport de la Cour des comptes pointait jusqu'à son inefficacité à réduire les inégalités et montrait, au contraire, qu'elle avait accentué le risque de ghettoïsation, à la fois ethnique et sociale. C'est aussi le constat du Haut Conseil à l'intégration (HCI) qui rappelle encore des préconisations évidentes.

Je ne prendrai qu'un seul exemple, la mise en œuvre des programmes de connaissance des cultures d'origine. Ces programmes ont été développés dans les années 1980 afin de faciliter les liens avec des "pays d'origine". Est-il encore judicieux, en particulier pour les enfants de la troisième ou quatrième génération, en majorité de nationalité française, de se présenter devant des enseignants en "langues et cultures d'origine" qui, eux, ne connaissent de notre pays que peu de chose ? Depuis 1991, le HCI demande la suppression de ces enseignements et on apprend que de plus en plus d'élèves, parmi les moins intégrés, les fréquentent et dans le même temps ne savent plus qu'ils sont français. Le courage politique est de faire cesser cela.

Un autre frein à l'intégration par l'école est la concentration des mêmes populations, des mêmes difficultés, dans les mêmes quartiers et donc dans les mêmes écoles. Une politique volontariste de mixité sociale dans nos villes doit s'imposer de manière intelligente et non pas de manière arithmétique. Pourquoi ne pas encourager les familles à changer de lieu d'habitation par un dispositif incitatif de prime sociale au relogement? Pourquoi ne pas travailler avec les maires pour la mise en place d'une politique de logement social conçue immeuble par immeuble et pas seulement quartier par quartier?

C'est une politique à inventer qui ne peut se réduire à la loi DALO (droit au logement opposable), critiquée aujourd'hui même par ceux qui l'avait demandée, car elle augmente parfois l'effet ghetto. Alors, arrêtons de rêver "l'intégration", il est plus que temps de la mettre en œuvre concrètement. C'est pourquoi j'ai œuvré pour la création d'internats d'excellence en dehors des quartiers difficiles, et pour la promotion de l'apprentissage et l'alternance et cela dès 2003.

Cette année, j'ai été très fière d'accueillir le premier internat d'excellence dans le 7e arrondissement de Paris, et le premier en France avec un établissement privé. Et, en tant que garde des sceaux, j'ai mis en place des classes préparatoires intégrées comme moyen d'accéder aux grandes écoles pour des étudiants méritants mais de conditions sociales défavorisées. Alors que beaucoup d'autres réfléchissent encore à leur création ! L'intégration passe non seulement par l'éducation, mais aussi par l'insertion sociale et professionnelle. Accueillir le jeune dans la sphère professionnelle, c'est l'intégrer.

Aidons ceux qui le peuvent à faire des études supérieures dans un environnement serein mais, surtout, ne laissons pas les jeunes, qui sont en difficulté ou qui ne souhaitent pas faire des études longues, au bord du chemin. Il faut pour cela absolument valoriser les filières professionnelles. Et c'est dans cet objectif que j'ai organisé, le 7 décembreà Paris, les Etats généraux de l'emploi des jeunes en Europe.Car on le sait, apprendre un métier c'est aussi ce qui a permis d'intégrer des générations de femmes et d'hommes. Appartenir à la classe ouvrière était une fierté, donnait un statut ! Ne confondons pas l'élitisme et l'excellence !

Pour cela, devons-nous favoriser la mise en place de mesures de discrimination positive, c'est-à-dire des mesures provisoires qui mènent à l'égalité réelle ? Ce ne doit pas être une question taboue. Si elles sont favorables à l'intégration, pourquoi les exclure de manière dogmatique ? Mais, attention, il ne faut pas pousser le volontarisme à l'excès. Autrement dit, un coup de pouce, oui, un assistanat contre-productif, non. C'est cela le mérite républicain. Quand Nicolas Sarkozy, lors de la campagne présidentielle, disait "tout devient possible", beaucoup de jeunes Français issus d'horizons divers ont cru à ce message. Ces jeunes doivent pouvoir encore croire qu'en France rien n'est jamais perdu. A nous de leur démontrer !

Rachida Dati, maire du 7e arrondissement de Paris et eurodéputée

Source : Le Monde

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