jeudi 26 décembre 2024 19:04

Calais: des murs contre l'immigration

Il aura donc fallu moins de trois semaines à Bernard Cazeneuve, le nouveau ministre socialiste de l’Intérieur, pour s’entendre avec son homologue britannique Theresa May : le 20 septembre dernier, le gouvernement du Royaume-Uni décide de débloquer 15 millions d'euros sur trois ans pour permettre aux Français d’ériger à Calais une barrière sécurisée ; elle doit interdire l’accès de toute la zone portuaire aux migrants tentant de passer en Angleterre.

Telle est la réponse entièrement sécuritaire donnée à l'appel lancé en août par Natacha Bouchart, la Maire UMP de Calais, pour (re)construire un centre d'accueil (aux dimensions à vrai dire très  insuffisantes) pour les migrants. Elle s’y était résolue à l’issue des conséquences sanitaires et humanitaires catastrophiques entraînées par les évacuations et destructions successives, en mai et en juillet derniers, des campements de fortune organisés dans le plus grand dénuement par les quelques 1500 migrants attendant à Calais et dans le Calaisis une opportunité de traverser la Manche : parmi eux des femmes et des enfants ; régulièrement des Afghans, des Égyptiens, et des Syriens ; dernièrement beaucoup de Somaliens et d’Érythréens.

Sans solution de rechange, la fermeture et la destruction en 2002, par Nicolas Sarkozy (alors lui-même Ministre de l’Intérieur) du Centre de Sangatte, administré par la Croix-Rouge, ne finissent pas d’avoir des conséquences dramatiques. On continue à rejeter dans la précarité la plus extrême et l’indignité la plus sordide des migrantes et des migrantes et des migrants qui ont commis pour seul crime de tenter de fuir, au péril de leur vie, les situations de guerre et de répression dont elles et ils sont les victimes.

Bernard Cazeneuve a osé présenter l’accord avec le gouvernement britannique comme « une avancée importante, qui permettra de contribuer à dénouer la crise que connaît la question migratoire à Calais depuis plusieurs années ». Parallèlement à la « sécurisation du port de Calais », il s’agirait, selon le Ministre, de « protéger les personnes vulnérables » et l’on envisagerait l’ouverture d’un « centre de jour ». L’hypocrisie de ce propos rappelle celui de son collègue Eric Besson qui, en 2009, avait fait passer la destruction policière des « jungles » comme une opération humanitaire destinée notamment à soustraire les migrants aux filières mafieuses des passeurs. Mais l’officiel communiqué franco-britannique ne laisse pas planer le moindre doute : « This will include helping to identify measures to ensure migrants to not breach the laws of either country or threaten the safety of Calais residents or those using the port. It will also support improved joint returns initiatives and further comprehensive action against those trying to evade immigration control ». Migrantes et migrants sont des illégaux qu’il fait soumettre à un contrôle policier implacable avant de les refouler et de les expulser (comme le prévoient les accord de Dublin).

Désormais, de même que dans l’enclave espagnole de Ceuta et Melia au Maroc, de même que la rive européenne de l’Ebros entre la Thrace grecque et la Turquie, Calais aura sa barrière fortifiée : un mur contre la migration qui correspond à la politique d’externalisation des frontières conduites depuis plusieurs années par l’Union européenne. Dans le cas particulier, c’est à l’intérieur de l’Europe la frontière de Grande Bretagne qui est déplacée sur sol français avec l’appui logistique et répressif des forces de l’ordre du pays « hôte ». La politique de contrôle et d’éloignement qui pourra être désormais conduite dans le Calaisis par le Ministère français de l’Intérieur est fille de celle dont la Commission européenne a chargé l’agence Frontex, avec les très importants moyens financiers et logistiques que l’on sait.

Par l'intermédiaire des accords de Dublin, migrantes et migrants seront rejetés sur l'autre rive de la Méditerranée. Entre la politique de contrôle des rives de l’Europe méridionale et le bouclement du rivage de la Manche, la relation est directe. Le désastre humanitaire est assuré. À l’issue du double naufrage qui avait provoqué la mort de plus de 300 migrants, femmes et enfants inclus, au large des côtes de Lampedusa et de Malte en octobre 2013 les promesses avait été nombreuses de prises en charge humanitaire des migrants tentant la traversée. À la mi-septembre, le HCR a dénombré 600 morts, en moins de trois jours, au large des côtes de la Libye…

Si Bernard Cazeneuve était sincère, les 15 millions d'euros débloqués par la Grande Bretagne pourraient être consacrés à la construction et à la gestion de plusieurs centres d'accueil...

24 septembre 2014, Claude Calame

Source : Mediapart

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