vendredi 27 décembre 2024 09:55

Immigration: le long chemin de la "seconde génération" grecque

Nikos Odubitan en rit encore: qu'un passant l'ait pris pour un policier est une anecdote plutôt légère au regard de sa longue bataille pour faire valoir ses droits, lui le trentenaire d'origine nigériane qui ne possède qu'un titre de résident en Grèce, pays où il est pourtant né et a grandi.

Etre interdit d'accès aux métiers de la fonction publique, d'avocat ou de juge, n'est qu'un des nombreux renoncements qu'il a dû accepter depuis qu'il s'est retrouvé, à sa majorité, "étranger dans son pays".

Un choc qu'encaissent tous les jeunes nés en Grèce de parents étrangers: dans un pays où la citoyenneté est articulée au droit du sang, les conditions d'accès à la nationalité sont parmi les plus restrictives d'Europe.

La Grèce est avec l'Autriche et le Luxembourg l'un des pays européens à ne prévoir aucune passerelle vers la nationalité pour ces immigrés de "seconde génération", dont les parents sont en situation légale, pas plus que pour ceux arrivés très jeunes en Grèce.

Le cinéaste grec Panos Koutras en a fait l'un des thèmes de son dernier film, Xenia, présenté en mai dans la section "Un certain regard" du festival de Cannes, sorti déjà en France et en Italie, et jeudi en Grèce.
Dany et son frère Odysseas, dont la mère albanaise vient de mourir, y recherchent leur père, un Grec qu'ils n'ont jamais connu, afin qu'il les reconnaisse et leur permette ainsi d'obtenir la nationalité grecque et de ne pas risquer l'expulsion.

Odysseas est incarné par Nikos Gelias, un Albanais de 23 ans arrivé en Grèce "en taxi", à l'âge de six ans, pour retrouver sa famille qui y était installée. Parents en situation régulière, scolarité à l'école publique grecque et à 18 ans, première confrontation avec la bureaucratie pour obtenir sa carte de séjour.
"Tous les ans, c'est le même rituel, la queue dès 05h00 du matin, les justificatifs à rassembler et 180 euros" pour obtenir le précieux sésame, explique-t-il.

Comme plusieurs personnes interrogées par l'AFP, il raconte que le délai d'obtention est tel que le permis est souvent délivré après sa date d'expiration, ce qui oblige son détenteur à devoir se contenter d'une attestation administrative, qui ne permet pas de voyager.

 "Ethnos"

"Si je pense au nombre d'heures que j'ai passées à faire la queue, à ce que je n'ai pas pu faire parce que mes papiers étaient provisoires, je deviens fou", témoigne Nikos Odubitan, 33 ans, qui fut même "apatride" durant une période.

Avec le collectif Generation 2.0, il milite pour le droit à la nationalité des étrangers nés en Grèce ou scolarisés dans le pays, soit quelque 200.000 jeunes, selon l'organisation. Pour l'instant ils n'ont d'autre choix qu'une longue et aléatoire procédure de naturalisation - La Grèce a l'un des plus faibles taux de naturalisation d'Europe.

Longtemps pays d'émigration, la Grèce est devenue pays d'immigration dans les années 90, accueillant notamment Albanais, Bulgares, Roumains, Pakistanais, Afghans.

Un pas conséquent avait été franchi en 2010, sous un gouvernement socialiste, avec le vote d'une loi accordant la nationalité à la naissance ou après six années de scolarité, moyennant cinq ans de résidence légale des parents dans le pays.

Mais fin 2012, le Conseil d'Etat a annulé le texte estimant que le "lien essentiel avec la nation ("ethnos", ndlr) grecque" ne se compte pas en années de résidence ou d'éducation en Grèce.

Un nouveau dispositif entré en vigueur en juin facilite la délivrance rapide d'un titre de résidence de cinq ans aux jeunes de la "seconde génération" et semble tenir ses promesses, observe Generation 2.0.
Mais pour Anna, Albanaise de 24 ans dont 18 passés en Grèce, diplômée de langue et littérature grecques, cela ne change rien: sans passeport grec, impossible d'enseigner dans le public, mais aussi dans le privé comme elle l'a découvert il y un an.

L'occasion de s'entendre dire par l'administration: "tu aurais dû te demander avant, en tant qu'étrangère, quel droit te donnait cet Etat".

01 oct. 2014, Sophie MAKRIS

Source : AFP

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