mercredi 15 janvier 2025 21:55

Invisibles de Nasser Djemaï : Les immigrés fantômes

On va beaucoup voir « Invisibles » sur les scènes de France dans les mois qui viennent et c'est tant mieux. Avec ce spectacle sous-titré, « La Tragédie des chibanis » (« vieux » en arabe), Nasser Djemaï, son auteur et metteur en scène, a fait oeuvre utile. Représenter sur scène le drame des travailleurs immigrés à la retraite, hantant la ville tels des spectres invisibles, était un sacré défi. Relevé avec brio par le jeune homme de théâtre.

Cette histoire, qui est un peu celle de son père d'origine algérienne, a longuement mûri dans sa tête. Il a recueilli des témoignages. Mais pas question de faire du théâtre documentaire : ces expériences, qui sont autant de contes tristes, sont reliées entre elles, grâce au fil rouge d'une fiction - l'histoire de Martin qui débarque dans un foyer de vieux immigrés, pour retrouver la trace d'un père inconnu -, et au fil noir d'un mythe - la descente aux enfers dans « L'Enéide ».

Intensité peu commune

Le jeune Martin découvre le rude quotidien de ces hommes qui ne sont plus d'aucun monde - niés ici en France, oubliés là-bas, dans leur pays d'origine -, suit leur combat pour conserver le peu qu'il reste de leurs rêves et de leur dignité. Dans ce foyer mi-refuge, mi-enfer, il affronte les fantômes du passé, les leurs et le sien : le spectre de sa mère, tout juste morte d'un cancer, qui l'a conduit jusqu'ici, en lui laissant quelques indices dans un coffret. Le texte de Nasser Djemaï (publié chez Actes Sud-Papiers), tenu, équilibré, écrit avec élégance, passe bien la rampe, malgré quelques passages un peu démonstratifs.

La mise en scène est sobre, efficace : une table, quelques chaises, un meuble bas pivotant qui cache un lit de fortune... L'enfer s'imprime sur le fond noir de la scène : projections de fantômes géants, de mers ou de ciels liquides... La gestuelle, économe, s'inspire de celle, fourbue, des travailleurs déchus. La direction d'acteur sur le fil, fait en sorte d'éviter le naturalisme et le pathos. Angelo Aybar, Azzedine Bouayad, Kader Kada, Mostefa Stiti et Lounès Tazaïrt imposent leur présence humaine et forte. Sans en rajouter, ils créent l'émotion. David Arribe campe avec justesse le personnage du jeune Martin, mais doit pouvoir gagner en intériorité.

L'essentiel est qu'on suit avec une intensité peu commune et une conscience douloureuse cette « Tragédie des Chibanis ». Tragédie du racisme, de la solitude, de l'absurdité des rapports sociaux dans nos villes, à nos portes. Quand le théâtre dit le monde mieux qu'un documentaire, c'est qu'il rime avec art. Bravo, Nasser Djemaï.

28/11/2011, Philippe Chevilley

Source : Les Echos

  • UE : forte baisse de l’immigration illégale en 2024
    UE : forte baisse de l’immigration illégale en 2024 Selon l'agence européenne de contrôle des frontières Frontex, les franchissements irréguliers des frontières européennes en 2024 sont tombés à leur…
  • Allemagne : la ministre de l’intérieur demande plus de respect pour les migrants intégrés
    Allemagne : la ministre de l’intérieur demande plus de respect pour les migrants intégrés Dans une déclaration suite à la controverse sur la révocation des passeports des criminels titulaires d'un double passeport, la ministre…
  • USA : l’immigration, un facteur clé pour réussir les défis de la tech
    USA : l’immigration, un facteur clé pour réussir les défis de la tech Quelques jours avant son investiture, le discours du Président américain Donald Trump sur l’immigration se heurte aux besoins de main-d'œuvre…
  • Incendie à Los Angeles : Contacts d’urgence pour les Marocains de la région
    Incendie à Los Angeles : Contacts d’urgence pour les Marocains de la région L’Ambassade du Maroc aux États-Unis a mis en place un numéro d’urgence (202 499 1050) et une adresse email (Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.)…
  • La beauté de Cléopâtre de Mustapha Fahmi
    La beauté de Cléopâtre  de Mustapha Fahmi Mustapha Fahmi, auteur maroco-canadien publie son troisième roman La beauté de Cléopâtre (La peuplade, 2025).
Google+ Google+