Barack Obama, l'ami des immigrés ? Le président américain, qui doit largement sa réélection de 2012 au vote des Américains d'origine hispanique et asiatique, vient de se faire traiter de « champion des expulsions » par Janet Murguia, une figure latino de la défense des droits humains. Avec près de deux millions d'étrangers – mexicains à 75 % – reconduits à la frontière depuis son arrivée à la Maison Blanche, M. Obama s'est montré plus féroce en la matière que tous ses prédécesseurs, George W. Bush compris.
Ce record suscite tant de critiques et pose un tel problème politique à l'approche des élections de mi-mandat de novembre, où les démocrates risquent de perdre la majorité au Sénat, que le président a demandé à la mi-mars à son ministre de la sécurité intérieure, Jeh Johnson, de revoir la politique d'expulsion dans un sens plus « humain ». M. Obama s'est alors dit « très préoccupé par les souffrances qu'endurent trop de familles du fait des séparations liées à notre système d'immigration défaillant ». La grande réforme des lois sur l'immigration, attendue depuis plus d'une décennie, devait constituer, avec l'assurance-santé, l'autre grand legs de la présidence Obama. Plus de onze millions d'étrangers en situation irrégulière vivent sur le sol américain, parfois depuis des lustres. De l'agriculture à la haute technologie, en passant par les compagnies Internet, les lobbies patronaux poussent à l'assouplissement des règles de régularisation.
DÉGÂTS MULTIPLES
Mais les républicains rechignent, attentifs à une base qui réclame une politique musclée aux frontières et refuse toute régularisation, au risque d'aliéner l'électorat latino en pleine croissance. Une loi censée faire consensus a bien été votée voici un an au Sénat, alliant renforcement des contrôles aux frontières et régularisation de masse, mais elle est bloquée à la Chambre. Ce texte « ne sera pas examiné », a répété, mercredi 16 avril, Eric Cantor, le chef de la majorité républicaine.
La politique d'expulsion forcenée menée par Barack Obama – 400 000 reconduites par an – visait à faire taire les accusations de laxisme du camp républicain et à l'amener à adopter une réforme unanimement jugée urgente. C'est un échec retentissant. Non seulement la loi n'a pas été modifiée, mais le rouleau compresseur des expulsions, avec son quota de 30 000 places dans les centres de rétention à remplir quotidiennement, a fait de multiples dégâts.
Cinq mille enfants séparés de leurs parents ont dû être placés dans des familles d'accueil. Jamais le nombre de personnes tentant de rentrer aux Etats-Unis après en avoir été éloignées par la force n'a été aussi élevé. Comme il est plus simple pour la police de cueillir des sans-papiers à la sortie d'une école que de démanteler des gangs, les étrangers ne présentant pas de danger pour la sécurité publique sont de plus en plus visés, tandis que les délinquants ont cessé de l'être.
Trois expulsés sur quatre n'ont commis aucun délit grave hormis le séjour irrégulier, selon une étude du New York Times. Il faut « stopper la machine à expulser quand elle maltraite », a estimé le quotidien, le 6 avril, dans un éditorial.
CARACTÈRE SUICIDAIRE DU STATU QUO
Mais le président, pressé d'agir par les avocats des immigrés, n'a peut-être pas dit son dernier mot. Il sait à quel point la question de l'immigration divise les républicains : si le refus de toute réforme peut leur être électoralement favorable à court terme, il les plombe pour les prochaines présidentielles en raison du dynamisme démographique des Latinos. Le discours musclé sur l'immigration choisi par Mitt Romney en 2012 ne lui a permis d'attirer que 27 % du vote hispanique, un étiage historique.
Or le président peut agir seul : faute de vote du Congrès, il pourrait décider par décret de desserrer l'étau des expulsions, par exemple en prolongeant la mesure protégeant les « dreamers », les jeunes immigrés sans papiers, contre toute reconduite. Décidée en 2012 en pleine campagne électorale, elle doit expirer cette année. Pareille libéralité rendrait impossible le vote de toute réforme d'ensemble avant la prochaine présidentielle. Elle sèmerait la zizanie chez les républicains dont certains élus, dans les Etats à fort électorat latino, perçoivent le caractère suicidaire du statu quo.
Alors que le Grand Old Party se cherche un candidat pour 2016, le scandale suscité par les déclarations de Jeb Bush, frère de l'ancien président et présidentiable républicain, donne la mesure de la controverse interne. Ancien gouverneur de Floride, marié à une femme d'origine mexicaine, M. Bush a déclaré le 6 avril sur Fox News que les immigrés qui pénétraient illégalement sur le sol américain pour retrouver leur famille ne commettaient « pas un crime » mais « un acte d'amour ».
18.04.2014, Philippe Bernard
Source : LE MONDE