Venu d'Afrique, le flux de bateaux de fortune tentant de rallier l'Europe ne faiblit pas. À son bord, des migrants aimantés par le fantasme de l’Occident et manipulés par des marchands de morts. Alors L’Europe secourt puis l’Europe expulse vers une Afrique devenue un tonneau des Danaïdes...
Comme un fleuve qui se jette dans la mer, le flux des migrants clandestins fend la Méditerranée à un rythme toujours soutenu. Le macabre décombre des noyés n’érode-t-il pas le fantasme de l'aventure ? Les jérémiades d'Européens au pouvoir d'achat prétendument décourageant ne convainquent-elles pas que l'Europe n'est qu'un miroir aux alouettes ? Les arnaques de passeurs sans scrupule n'intimident-elles pas les candidats au départ ? Manifestement non, en particulier en cette saison où les conditions climatiques sont favorables à une navigation peu ou prou sécurisée, pour peu que l’embarcation ne soit pas une coque de noix.
Depuis le début de l'année, ce sont quelque 15 000 migrants débarqués d'Afrique - de plus en plus en provenance de Syrie - qui ont été secourus aux environs des côtes italiennes. La semaine dernière, 4 000 clandestins étaient interceptés en 48 heures. Le ministre italien de l'Intérieur, Angelino Alfano, lançait l'alarme, la gorge déployée en direction de ses partenaires européens. Au moment même où il s'exprimait, l’infernal manège continuait à dérouler sa dramaturgie répétitive. On annonçait plus de 300 personnes en voie d'être secourues, parmi lesquelles certaines auraient perdu la vie avant le rivage. En octobre dernier, c'étaient 400 personnes qui mouraient près de l’île de Lampedusa et de Malte.
Le rapport d'un centre de Jésuites impliqués dans l'aide aux réfugiés indique qu'en 2013, 42 925 personnes auraient débarqué officiellement sur les côtes italiennes. 27 830 auraient déposé des demandes d'asile et un grand nombre déclareraient avoir été victimes de violences de toutes sortes au cours de leurs voyages.
À l'approche des élections européennes, une frange croissante de citoyens frileux exprime ouvertement son mécontentement.
Si l'Italie est un nœud gordien dans ce manège incessant de transfert de misère, c'est dans tout le reste de l'Europe que les populations se plaignent, davantage de jour en jour. Il est vrai que, sur l'ensemble de l'Union européenne, les demandes d'asile auraient augmenté d'un tiers en un an. À l'approche des élections européennes, une frange croissante de citoyens frileux exprime ouvertement son mécontentement, donnant du grain à moudre aux partis d'extrême droite. Il y a une dizaine de jours, dans la ville française de Calais où 400 clandestins guetteraient en permanence une occasion de rallier l'Angleterre, le collectif "Sauvons Calais" appelait à une manifestation anti-migrants programmée le 13 avril. Gêné aux entournures, le préfet du Pas-de-Calais interdisait la marche, conscient que le sujet était plus que jamais explosif. Deux contre-manifestations avait déjà été planifiées. Des heurts en perspective...
Entre mercredi et jeudi dernier, la Marine libyenne arrêtait plus de 300 candidats à l'émigration clandestine au large de Tripoli.
En attendant, en particulier en Méditerranée, le travail de Frontex, l’agence de surveillance des frontières européennes, n'a guère convaincu. Il a même suscité l'animosité de vingt-et-une organisations européennes et africaines qui ont lancé une campagne "Frontexit" dénonçant un manque de respect des droits fondamentaux.
Pour ceux qui se voilent la face et ne veulent pas assumer, sur un continent économiquement déprimé, la misère de pays plus déshérités, il s'agit d'anticiper le problème en amont, à défaut de le régler. Le fanfaron de la politique italienne, Silvio Berlusconi, et l'Ubu libyen, Mouammar Kaddafi, s'y étaient engagés. C'est que plusieurs centaines de milliers de migrants seraient prêts à embarquer en Libye, estimation admise par la commissaire européenne aux affaires intérieures, Cecilia Malmström. Entre mercredi et jeudi dernier, la Marine libyenne arrêtait plus de 300 candidats à l'émigration clandestine au large de Tripoli. Encore plus en amont, 50 migrants étaient interceptés à la frontière avec le Soudan.
L'Europe et l'Afrique noire sont-elles condamnées à un sempiternel bras de fer, les coudes posés sur le Machrek ? En réalité – faut-il s’en réjouir ? –, les frictions migratoires ne sont pas réductibles à un conflit entre le Nord et le Sud ? Aux premiers jours d'avril, plus de 800 ressortissants de la République démocratique du Congo étaient expulsés, sans ménagement, de Brazzaville vers Kinshasa ; à un moment où les politiciens congolais, dans leurs bureaux feutrés, ressuscitent un projet de pont entre les deux capitales les plus proches du monde. On est toujours l'Eldorado de quelqu'un...
14/04/2014, Damien Glez
Source : Jeuneafrique.com