L'agence de surveillance des frontières européenne a vu son règlement modifié par le vote, mercredi, des députés européens. Désormais, l'obligation de porter assistance est renouvelée. Les refoulements sont interdits sans une procédure administrative complète et totalement impossibles dans les eaux internationales.
L'Union européenne réagit à la morts de milliers de migrants en Méditerranée : mercredi 16 avril, le parlement européen a adopté plusieurs "dispositions sur les opérations de recherche et de secours qui clarifient la manière dont les garde-frontières de Frontex devraient traiter les migrants en mer, et précisent le lieu où ils devraient les débarquer", indique le parlement dans son communiqué. "Ces nouvelles dispositions permettront à Frontex de réagir de manière plus efficace et d'éviter des décès en mer, ce qui permettra d'équilibre notre besoin d'assurer la sécurité et notre devoir de protéger les droits de l'homme", déclaré le rapporteur du texte Carlos Coelho.
En mer, le droit national s'applique dans les eaux territoriales d'un Etat, le droit international dans les eaux internationales ; règles auxquelles s'ajoutent les différentes coopérations bilatérales. Cette profusion de règlementations crée un flou que les députés européens ont voulu supprimer en précisant ce que le Frontex avait le droit de faire et l'obligation de ne pas faire en mer.
Sauver les migrants en mer
D'abord, selon le nouveau texte les unités participant aux opérations de Frontex ont le devoir de s'engager et de sauver des vies, selon le communiqué du parlement. "Le règlement prévoit une procédure obligeant l’agence à prévenir les autorités de sauvetage compétentes. C’est un minimum, déjà prévu par le droit maritime international. Le règlement n’ajoute rien à ce qui est déjà en vigueur", estime Migreurope, coordination internationale pour la défense des droits des réfugiés et des étrangers. " Tout l’intérêt repose donc sur la possibilité d’interpeller dorénavant la Cour de Justice de l’UE sur cette base juridique. La Commission européenne devra à cet égard exercer sa plus haute vigilance », insiste Hélène Flautre, députée européenne (groupe Verts-ALE), membre de la commission des Libertés civiles.
Les députés ont également ajouté que "Le capitaine et l'équipage [d'un navire] ne devraient pas encourir de sanctions pénales au seul motif qu'ils ont porté secours à des personnes en détresse en mer et qu'ils les ont menées en lieu sûr".
Lorsqu'un navire apparemment occupé par des migrants irréguliers se trouve dans les eaux internationales - c'est à dire ne relevant de la souveraineté d'aucun Etat - les équipes coordonnées par Frontex n'ont pas le droit d'intervenir, même s'il s'apprête à entrer dans les eaux territoriales d'un pays membre de l'UE, excepté dans le cas où la vie de ces personnes est en danger. "
Le Maroc, un pays sûr ?
Dans les eaux territoriales d'un Etat de l'UE ou d'un pays tiers, comme le Maroc, Frontex ne peut les ramener à terre, dans le même pays, qu'en respectant la loi national de ce pays en matière de migration. Cependant, elle doit dans ce cas respecter deux règles supplémentaires votées par les députés : le principe de non refoulement et le respect d'une stricte procédure. Les migrants ne doivent pas être renvoyés dans leur pays d'origine ou tout autre pays dans lequel il existe un risque de persécution, de torture ou d'autres préjudices graves. "Mais pour évaluer ce risque, Frontex s’appuiera uniquement sur des sources gouvernementales et européennes et consignera ses conclusions dans des documents non publics, donc difficilement contestables", regrette Migreurope dans son communiqué. Pour l'association la coopération de l'UE avec les pays du Maghreb en matière de lutte contre la migration irrégulière fait que "la Libye, le Maroc, la Turquie ou l’Ukraine deviennent aveuglement des pays « sûrs » vers lesquels les migrants peuvent être renvoyés".
Pourtant, le Maroc n'est pas un pays sûr pour ces migrants en situation irrégulière. Au nord du pays, ils continuent à être battus par la police marocaine, embarqués de force dans des bus qui les conduisent et les abandonnent à Casablanca et Rabat. Mardi 16 avril, les associations marocaines de défense des droits des migrants ont à nouveau demandé que cessent ces violences. "Le Coordonnateur résident des Nations Unies au Maroc, la Représentante du Haut Commissariat aux Refugiés et la Représentante de l’Organisation Internationale pour les Migrations sont préoccupés par les informations faisant état de violence", a rapporté le collectif d'association.
Procédure impossible à respecter ?
Frontex, pour refouler un migrant depuis les eaux territoriales d'un pays tiers, devra également suivre une procédure précisée par les députés respectueuse de ses droits. "Frontex, doit inclure des procédures garantissant que les personnes nécessitant une protection internationale, les victimes de trafic d'êtres humains, les mineurs non accompagnés et les autres personnes vulnérables soient identifiées et reçoivent une aide adéquate", indique le communiqué du parlement. Inclure les "victimes de trafics d'être humains" est une nouveauté et une avancée. Cela signifie que tous les migrants irréguliers pourront demander de l'aide en ce nom, puisque tous passent entre les mains de passeurs", remarque Mehdi Alioua, chercheur au Centre Jacques Berque et spécialiste des migrations transnationales au Maroc.
La députée européenne se montre plus dubitative sur la capacité de Frontex à respecter ces nouvelles injonctions de procédure. "Mais son arrêt 'Hirsi Jamaa' requiert également la présence d’interprètes, de conseillers juridiques à bord et le droit à un recours suspensif. En l’absence de telles garanties, il y a vraiment de quoi être dubitatif sur l’effectivité de la procédure. Dans ces conditions, la priorité donnée au débarquement vers les pays tiers et la possibilité d’ordonner à un bateau se trouvant dans les eaux territoriales de modifier son parcours peuvent légitimement inquiéter", explique Hélène Flautre.
L'Espagne conserve toute latitude
"Ces mesures sont de véritables avancées pour le respect des droits de l'homme, mais elles ne seront que de peu d'effet, car l'essentiel des actions de lutte contre les migrations irrégulières sont menées par les Etats comme le Maroc et l'Espagne. L'Europe et même Frontex n'y interviennent pas vraiment", soutient Mehdi Alioua contre l'avis de nombreux analyses qui s'alarment de la montée en puissance de Frontex.
Ces nouvelles règles ne s'appliquent en effet qu'aux opérations coordonnées par Frontex et non par les polices nationales. La Guardia Civil espagnoles et les Forces Auxiliaires marocaines conservent donc toute leur latitude d'action. S'ajoutent les violations régulières du droit international, voire de leur propre droit national, dont les deux polices se rendent déjà coupables. Expulser, hors de toute procédure administrative, les migrant subsahariens qui sont parvenus à franchir la frontière de Melilia, de l'Espagne vers le Maroc, est en effet parfaitement illégal, mais les deux polices le font. Un supplément de droit a donc peu de chance de les embarrasser.
Le vote des députés, hier, aura au moins donné des arguments supplémentaires aux défenseurs des droits de l'homme qui pourront se réclamer de ces décisions pour dénoncer des actes de Frontex qui seraient en violation avec ses obligations. "Aujourd'hui, le Maroc consent à accepter les migrants que lui renvoie l'Espagne, mais ces nouvelles décisions peuvent également lui fournir un argument supplémentaire s'il décide un jour de s'opposer à l'Espagne", estime Mehdi Alioua.
18/4/2014, Julie Chaudier
Source : Yabiladi