samedi 28 décembre 2024 17:18

Migrer, une histoire toujours recommencée (REPORTAGE)

A 15 ans, Saïd Samadi accostait sans papiers sur l'île grecque de Lesvos, synonyme d'Europe pour cet adolescent afghan. Six ans plus tard, il y revient pour accueillir son jeune frère, à son tour sur la route d'un périlleux exil.

Aujourd'hui Saïd ne se cache plus : c'est en avion et passeport norvégien en poche qu'il est arrivé il y a quelques semaines à Mytilène, capitale de Lesvos, au nord-est de la mer Egée, face à la Turquie.

La vie du gaillard rieur aux yeux clairs a radicalement changé : la Norvège lui a accordé asile puis nationalité, il y a trouvé travail -dans un hôtel- et formation -comme aide-soignant.

En Iran, où est il est né et où résident ses parents, "les Afghans ne sont pas bien traités, c'est difficile d'aller à l'école".

Mais son frère de 17 ans est encore dans l'autre monde, celui précaire et incertain du clandestin. Depuis son arrivée sur l'île via un réseau de passeurs, il y a plus d'un mois, il attend l'aboutissement des opérations d'identification et d'enregistrement des nouveaux arrivants au centre administratif fermé de Moria, à quelques kilomètres de Mytilène, explique Saïd à l'AFP.

"Je lui parle tous les jours au téléphone, je lui dit d'être patient mais il me dit que les conditions d'hébergement ne sont pas bonnes, notamment à cause du manque de sanitaires", ajoute-t-il.

Située à quelques heures de navigation des côtes turques, visibles à l'oeil nu, Lesvos est depuis longtemps une destination privilégiée des passeurs qui acheminent les migrants vers l'Europe.

Les flux de réfugiés sur les îles grecques, qui s'étaient tassés autour de 2010, ont repris avec une hausse de 223% des arrivées constatées sur les huit premiers mois de l'année 2014 par rapport à la même période en 2013.

 Retrouvailles

A Lesvos, il en arrive chaque jour "des dizaines voire une centaine", la plupart cueillis en mer, sur les plages, ou sur les routes au petit matin, explique Efi Latsoudi, l'un des piliers du groupe de bénévoles qui s'est constitué pour leur prêter assistance.

Avant l'ouverture du centre de Moria en janvier, c'est le camp tenu par les bénévoles depuis 2012, sur un terrain mis à disposition par la municipalité, qui a absorbé le choc de la nouvelle vague de réfugiés.

Les deux structures fonctionnent désormais en parallèle même si le nouveau maire de Mytilène souhaiterait voir fermer le camp des bénévoles. Le centre fermé vient de voir son nombre de places porté de 100 à environ 400. Le centre ouvert, surnommé PIKPA, qui a accueilli jusqu'à 600 réfugiés cet été, n'en hébergeait plus qu'une cinquantaine mi-octobre.

C'est à PIKPA que Saïd passe ses journées en attendant des nouvelles de son frère. "Il va faire une demande de regroupement familial, explique sur place l'avocate Eleni Velisavaki, membre d'Amnesty international, et il restera encore en centre fermé jusqu'à obtenir une place dans un hébergement d'urgence", denrée très rare en Grèce.

Un parcours qui s'annonce différent de celui de son aîné : Saïd raconte, comme un gamin qui aurait fait une bonne blague comment, en 2008, à 15 ans, il a rejoint Athènes après son arrivée sur l'île, trouvé un faux passeport pour embarquer dans un avion vers Paris, grimpé dans un bus pour Dortmund (Allemagne), pris une correspondance pour Hambourg, traversé la frontière avec la Norvège où l'attendait un oncle.

C'est aussi en éclaireur que H., quadragénaire afghan souhaitant garder l'anonymat, est arrivé en Europe il y a quatre ans via l'île grecque de Chios, au sud de Lesvos.

En 2012, il a obtenu l'asile en Suède et comme Saïd il a fait le voyage jusqu'à Mytilène pour retrouver sa femme et son fils qui ont effectué la courte mais dangereuse traversée sur les petits bateaux à moteur surchargés qui quittent toutes les nuits les côtes turques.

Liasse de photocopies administratives en main, il presse l'avocate de questions sur la procédure à suivre. Ce sera là encore une demande de regroupement familial "qui peut prendre cinq ou six mois". H. doit repartir en Suède, où il suit des cours de langue, le surlendemain : "Je serai patient."

28 oct. 2014, Sophie MAKRIS

Source : AFP

Google+ Google+