lundi 25 novembre 2024 10:53

Musulmans à l’école, ce n’est pas du catho

«Une école primaire accueille plus de deux cents élèves. Plus de 70% sont de confession musulmane. C’est le temps de l’Avent. Le chef d’établissement installe une crèche dans le hall. Un parent musulman exige que la crèche soit retirée car "un musulman ne peut entendre que Jésus est Fils de Dieu". Question : "Pour accueillir et respecter l’autre dans sa culture, faut-il pour autant faire disparaître tout signe chrétien ?"» Le cas de figure est exposé dans le dossier «Musulmans en école catholique» que la direction de l’enseignement catholique diffuse en cette rentrée auprès de ses équipes éducatives. Un travail inédit qui illustre les nouveaux problèmes auxquels les écoles catholiques sont désormais confrontées. Elles accueillent de plus en plus d’élèves musulmans, devenus majoritaires dans certains établissements de Villeurbanne (Rhône), de Marseille ou de Mantes-la-Jolie (Yvelines). Dans les banlieues difficiles, les parents se tournent en effet vers le privé sous contrat, relativement abordable, en espérant que leurs enfants seront mieux encadrés et échapperont aux mauvaises influences. Ils pensent aussi qu’à la différence du public, qui bannit les «signes religieux ostentatoires», leurs enfants pourront mieux y pratiquer leur religion.

fêtes. Du coup, l’école catholique se retrouve déstabilisée. Comment accueillir tous ces élèves musulmans sans risquer d’y perdre son âme ? Où trouver l’équilibre entre l’ouverture aux non-catholiques - la loi interdit aux écoles sous contrat de refuser des élèves sous prétexte de leur religion - et la volonté de garder un «caractère propre», autrement dit d’afficher haut et fort les couleurs catholiques ? Pendant deux ans, un groupe de travail, constitué de chefs d’établissement et d’experts, a planché. Objectifs : améliorer les connaissances de l’islam des équipes enseignantes afin de mieux argumenter leurs positions, et surtout leur suggérer les bonnes réponses.

Résultat : seize fiches d’informations très didactiques - sur le vocabulaire islamique, les fêtes, le voile, les conceptions musulmanes de la maladie, de la mort et de la résurrection, etc. - et des dossiers analysant quatorze cas concrets qui se sont posés dans des établissements, face auxquels les directions n’ont pas su réagir ou ont mal réagi. Les responsables de l’enseignement catholique y apparaissent tiraillés entre un souci de pragmatisme et un raidissement identitaire.

Piscine. Dans l’affaire de la crèche dont un père musulman réclame le retrait, la réponse est «niet». Mais encore faut-il savoir le dire sans braquer le parent de l’élève. La «fiche C5» rappelle que les musulmans ont une vision très différente de Jésus-Christ - pour eux, «il n’a pu être crucifié» - et renvoie à la sourate 4 qui en parle. Mais s’il faut comprendre l’agacement du père, il n’est pas question pour autant de céder : «Il est important que des signes chrétiens rendent visible l’identité de l’établissement catholique.»

Même fin de non-recevoir pour les familles demandant une dispense de piscine pour leurs enfants durant le ramadan, de peur qu’ils boivent de l’eau. «Toutes les écoles juridiques musulmanes s’accordent à regarder l’intention : l’acte est-il volontaire ou accidentel ?Dans le cas présent, avaler de l’eau ne casse pas le jeûne», tranche la «fiche B2». En plus, le code de l’éducation rend obligatoire l’assiduité scolaire. Enfin, toujours selon la fiche, il faut rappeler au père rétif «le projet» catholique de l’établissement dont il a eu connaissance lors de l’inscription.

Internats. Logiquement, les écoles catholiques connaissent les mêmes problèmes que l’enseignement public. Mais au nom du respect de la foi - les musulmans croient aussi «en un Dieu unique», rappelle le dossier -, les réponses peuvent être très différentes. Ainsi, une directrice de lycée voyait les élèves musulmans prier dans la cour. Un jour de pluie, prise de pitié, elle leur a proposé une salle. Depuis, elle ne peut plus en disposer et les élèves y font venir des croyants de l’extérieur.

«Actuellement, face aux influences radicales, mieux vaut répondre négativement pour éviter une source de conflit», recommande prudemment la «fiche B4». Une exception, toutefois, pour les internats. Mais la salle attribuée doit s’appeler «salle polyvalente» et servir aussi à «des fêtes, des groupes de discussion, des repas partage»… Des directeurs ont aussi fait un mauvais choix, selon cette étude, en instaurant des repas halal dans leurs internats. Comme quoi diriger une école catholique peut être parfois un chemin de croix.

4 octobre 2010

Source : Libération.fr

Google+ Google+