L’islamologue Rachid Benzine appelle à renforcer la place des sciences humaines dans la formation des imams.
Faut-il réorganiser l’islam de France et s’attaquer au financement des mosquées ?
C’est idéaliste, voire dangereux. On dénonce les liens avec le Maroc ou l’Algérie alors qu’on pourrait en faire des gages de consolidation et de paix entre les deux rives de la Méditerranée. Ce n’est pas parce qu’il y a un financement étranger qu’il y a prosélytisme fondamentaliste, comme le prouvent les mosquées d’Evry et de Lyon, qui ont reçu des fonds de l’Arabie Saoudite notamment. Couper les financements étrangers, c’est désigner ces pays comme nos ennemis.
Ce qui compte, c’est le contenu religieux qui circule aujourd’hui et qui peut servir de prétexte pour un passage à l’acte. A partir du moment où vous avez des imams qui peuvent dire qu’il y a les croyants d’un côté et les mécréants de l’autre, cela crée une rupture chez certains de nos jeunes et dans la société française. Ce discours sur le «nous et eux» ne débouche évidemment pas sur des phénomènes de violence automatique, mais le salafisme-wahhabisme peut créer des ruptures dans le vivre ensemble.
Si cela ne se joue pas dans les mosquées, où ?
Le futur de l’islam est sur Internet. Il faut trouver des imams très bien formés, capables de formuler un contre-discours théologique puissant et de le diffuser mondialement via les réseaux. Il y a une guerre idéologique qui se joue sur la transmission du religieux, souvent partielle ou parcellaire. Elle relève du bricolage face à des jeunes qui sont dans une triple rupture : avec l’islam traditionnel tel qu’il est pratiqué par leurs parents, avec la tradition multiséculaire musulmane et avec la modernité intellectuelle.
Comment faire évoluer la formation des imams en France ?
C’est la question la plus importante, mais qui dit formation dit formateurs. La France est très pauvre dans ce domaine et risque de le rester longtemps parce qu’elle s’interdit de travailler intelligemment avec des instances de formation des grands pays musulmans historiques. C’est oublier qu’il peut y avoir un islam fondamentaliste de France et un islam étranger ouvert sur le monde et les autres…
Quelle serait la solution selon vous ?
Ce qui compte, c’est que la place des sciences humaines soit renforcée dans la formation des imams. Qu’ils connaissent l’histoire de France et la laïcité, c’est important, mais il y a plus fondamental : l’approche historique, sociologique, linguistique et anthropologique des textes religieux. Sans cela, nous continuerons à importer dans les consciences des pensées qui ne sont plus opérantes dans la France du XXIe siècle. Il faut donc adapter le message de l’islam, faire un travail sur le déficit d’histoire sur la première période de cette religion. Nous sommes encore trop souvent dans le mythe et la légende. Il faut humaniser les croyances, inscrire l’islam dans le temps des hommes. Il faut montrer que l’islam s’est enrichi au fil de l’histoire, que tout n’était pas là dès le départ de la révélation.
Cette évolution est bloquée par les fondamentalistes ?
Pas uniquement. La plupart des imams transmettent encore cet islam mythique. Il faut avoir le courage de créer un contenu religieux à la hauteur de ce que nous découvrons d’un point de vue scientifique sur le premier islam. Nous sommes devenus des analphabètes religieux alors que les textes ont d’immenses conséquences sociales, politiques et psychologiques. Education, culture, pédagogie : là sont les vecteurs fondamentaux
1 août 2016, Laure Bretton
Source : Libération