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14 octobre 2008 - Rabat - Table ronde « Médias et diasporas : quels relais pour quels objectifs ? »

Monsieur le ministre délégué chargé de la communauté marocaine résidant à l'étranger,

Monsieur le ministre de la communication, porte-parole du gouvernement,

Mesdames et Messieurs, Chers amis, chers confrères,

 

C'est un plaisir pour le journaliste que je fus et le grand lecteur de journaux que je suis encore, comme vous je l'imagine, que de participer à l'ouverture de cet important séminaire, organisé par vos deux ministères et auquel notre Conseil a apporté son modeste concours. Et permettez-moi, avant d'aborder le débat d'aujourd'hui, de faire un petit détour par l'histoire.

 

Le 16 novembre 1967, à l'Olympia, fameuse salle de spectacles parisienne, l'immense Oum Kalsoum donnait un concert, le seul à ma connaissance qu'elle ait donné en dehors des pays arabes. Le spectacle était donné à guichets fermés, les billets se vendant au marché noir plusieurs fois leur prix initial. Pour les spectateurs, musulmans et juifs maghrébins, ressortissants du Moyen-Orient, mais aussi mélomanes français, toutes couches sociales confondues, cette soirée reste un souvenir impérissable, comme on a pu l'entendre il y a moins de quinze jours, durant une émission de la troisième chaîne française de télévision.

Quarante huit heures plus tard, le grand quotidien français de l'époque, France Soir« 1800 fanatiques sont allés à l'Olympia comme on va à la Mecque : pour voir célébrer un office religieux. Celui de la grande prêtresse de l'Islam qui chante... Contrairement aux usages de la mosquée, ils avaient conservé leurs chaussures mais enlevé la cravate ». revient sur la soirée et écrit notamment ce qui suit :

Une très grande soirée musicale devenait ainsi un rassemblement religieux dangereux si l'on y regarde de près et l'émotion des mélomanes, légitime et universelle, devenait un signe spécifique et particulier de ces populations, un révélateur d'une agressivité ancestrale pourrait-on dire.

 

Les images que vous allez voir défiler maintenant datent de ces dernières années. Elles ne sont qu'une infime partie d'une collection de reproductions de couvertures de périodiques français de toutes tendances politiques et philosophiques et elles traitent toutes de l'immigration. J'y ai ajouté quelques images de publications américaines et britanniques mais qui évoquent la situation en France. Il n'est pas question ici de procéder à une analyse rigoureuse des discours véhiculés ou suggérés par ces unes, mais de quelques premiers constats, susceptibles peut être de contribuer au débat.

Il est ainsi frappant de constater l'usage fréquent de la notion de vérité. Assez souvent, les titres évoquent à propos des banlieues ou de l'islam en diaspora, de supposées vérités qui seraient cachées par les pouvoirs publics évidemment et que le journal ose révéler, en présentant les vrais chiffres, les vrais responsables, étant entendu, explicitement ou implicitement, que la réalité, la vraie, ne peut être que catastrophique, dangereuse. La France brûle, elle a failli et elle est en état d'urgence, nous disent ces couvertures.

 

A ce binôme vérité/dissimulation, s'ajoute un autre qui renforce en réalité les craintes et suggère les peurs, soit en alignant soit en opposant les termes de l'équation.

Il suffit en effet parfois d'énumérer simplement les termes pour indiquer plus ou moins implicitement qu'il y a en réalité un problème qu'on ne peut plus se cacher : voile/France ; islam/république ; banlieue/intégration ; jeunes/religion, etc. Enoncé l'un après l'autre, les termes suggèrent bien qu'il y a à tout le moins une distinction, une différence, voire une nette opposition entre eux.

Mais on peut aussi être plus explicite. Ainsi, l'islam ne peut être que dans une posture de confrontation face à la laïcité, son adversaire voire son ennemi.

Il y a aussi l'usage de la photo, avec cette multiplication depuis de nombreuses années des images de femmes voilée, mystérieuses et belles à la fois, attirantes et plus ou moins dangereuses. Toute une foi est ainsi réduite à une seule de ses manifestations, des quartiers entiers où habitent des millions de personnes ne sont plus présentés ou perçus qu'au travers d'un seul prisme : le jeune, au mieux délinquant, au pire terroriste.

Et c'est parce que les populations des quartiers populaires sentent plus ou moins confusément ce regard réducteur qu'elles réagissent, et parfois de manière violente : il n'est plus bon d'être journaliste dans certaines de ces banlieues.

Bien évidemment, le traitement médiatique de la question de l'immigration en France est infiniment plus complexe et plus riche ; les articles qui suivent ces couvertures peuvent être nettement plus nuancés, et le pluralisme de la presse, l'intervention des chercheurs et des leaders d'opinion ainsi que des hommes politiques, en réalité plus au fait des réalités sociales et économiques, assurent au final une information plus équilibrée et plus fine. Il n'empêche, ce qu'on appelle la question ou plus souvent le problème de l'islam en Europe par exemple, est autant une réalité qu'une construction médiatique. Et cette construction, comme l'ont démontré des chercheurs comme Felice Dasetto et Albert Bastenier en Belgique ou Franck Frégosi ou Eric Delthombe en France, fonctionne aussi par un va-et-vient permanent entre les crises géopolitiques du monde musulman et les réalités beaucoup plus simples des musulmans d'Europe, selon une logique de « transfert des alarmes », pour reprendre l'expression de Frégosi. Ces dérives ont d'ailleurs amené des organisations professionnelles de journalistes, comme en Belgique, à édicter des chartes spécifiques concernant le traitement des questions de l'immigration.

 

Nous aurions tort de penser, me semble-t-il, que nous sommes à l'abri de toute erreur ou dérive dans le traitement de la question de l'immigration, parce que nous sommes de la même origine culturelle et porteurs de la même nationalité que nos compatriotes émigrés. A cet égard, cette journée pourrait constituer une première étape dans une série de travaux, adossés à des études scientifiques de fond, sur des sujets très divers.

Ainsi, et seulement à titre d'exemples, nous pourrions réfléchir sur les questions suivantes :

- Comment améliorer la connaissance des problématiques migratoires par la presse nationale et dans les cursus de formation des journalistes ?

- Quel est l'état de l'offre journalistique en la matière, les contenus traités, les questions ignorées ? Quels sont les moyens alloués aux journalistes pour qu'ils fassent professionnellement leur travail ?

- Quelles sont globalement les images véhiculées ?

- Quelles sont les opportunités qu'offrent les nouveaux médias communautaires et les nouvelles technologies : radios privées, journaux, sites, blogs, etc. ?

 

Je voudrais en conclusion vous affirmer de la manière la plus solennelle qui soit la disponibilité du CCME pour accompagner tout effort rigoureux de réflexion sur ces thématiques et toute autre problématique que vous estimerez, au terme de vos travaux, nécessaire de traiter. Nos préoccupations sont en effet communes : permettre aux professionnels d'accomplir au mieux leur mission, essentielle à plus d'un titre, et répondre au mieux aux attentes des populations émigrées et elles sont en ce domaine immenses.

 

Je vous remercie.

 

Driss El Yazami

 

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