Je croyais être revenue seule en Sicile. Quand, ce 2 septembre, à l’apparition des fumerolles de l’Etna à travers mon hublot, j’ai senti une présence s’imposer, j’ai esquivé l’avertissement.
C’est en arrivant à l’aéroport de Catane que je me suis rendue à l’évidence. L’agression du soleil m’a ramenée à d’autres morsures. Celles que j’avais vues en juillet sur les visages et les corps de migrants survivants tassés dans un canot pneumatique, au milieu de cadavres. Ces coups de dents avaient été la dernière défense de condamnées à mort face à ceux qui leur enfonçaient la tête sous l’eau dans un sauve-qui-peut général. En posant mes pieds sur le tarmac, j’ai su que les mortes du 20 juillet m’accompagneraient.
Enterrées dans le cimetière de Trapani, cette cité antique à l’extrême ouest de la Sicile et ville italienne la plus proche de l’Afrique, elles m’avaient suivie une partie de l’été. Pourtant, au fil des semaines, je pensais les avoir un peu distancées et ne me doutais pas qu’elles reviendraient en force lors de ce nouveau reportage sur l’île.
Mon pressentiment s’est vite confirmé. Quand je suis entrée dans le port de Catane, le plus grand de Sicile, situé sur la côte est, avec ses dizaines de bateaux de croisière, de pêche, ses navires militaires aussi, « mes » mortes, ces insolentes beautés, la vingtaine mince et gracile, ont repris corps et visage. A mes côtés, il y avait Mama, Blexi, Paulina, Younis ou Daxi, et d’autres encore dont j’ignorais le prénom. Les vingt et une filles qui avaient perdu la vie dans la fleur de l’âge, au large...Suite