C’est la journée des migrants de l’Onu. Cécile Kashetu Kyenge, députée européenne de la gauche italienne et membre de la commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures, se bat pour l’accueil des réfugiés : « la vraie crise est une crise de solidarité entre les différents états membres ». Entretien
À vos yeux, s’agit-il de crise migratoire ou de crise des politiques migratoires ?
Il faut être clair : souvent, dans l’esprit des gens, on parle de crise migratoire pour dire qu’il y a une invasion de migrants en Europe. Mais il n’y a pas vraiment de crise migratoire : ce sont les politiques qui n’ont pas fonctionné depuis 20 ans. Les politiques mises en place par les états membres et la stratégie européenne n’ont pas fonctionné. Si on se trouve toujours avec des tragédies, cela veut dire que ça cloche quelque part. La vraie crise, c’est la crise de solidarité entre les différents états membres : il faut revoir les politiques et partir du principe de solidarité et de partage équitable de responsabilités. On pourra alors sensibiliser tous les états membres, et répondre vis-à-vis de l’immigration, du terrorisme, de la vie sécuritaire : ça regarde tous les secteurs.
Quelle est la réponse, selon vous ?
À chaque fois que des leaders politiques disent fermons les frontières, moi je dis : ouvrez les frontières ! Il faut une vision à long terme. Quand les personnes arrivent ici, c’est la fin de quelque chose qui vient de loin. Quand ils arrivent, on ne peut pas donner de réponses aux causes profondes qui ont déplacé ces personnes et les gens qui fuient risquent de mourir en mer ou dans le désert : ce sont des victimes qui deviennent encore des victimes.
Nous voulons regarder au loin et renforcer nos partenariats de développement avec les pays d’origine, contribuer à renforcer leurs démocraties, car les gens ne fuient pas seulement la guerre, mais aussi le terrorisme, les dictatures ou le changement climatique, comme au Sahel. On n’arrive jamais à se mettre ensemble pour parler de l’immigration à l’intérieur de l’Afrique et en dehors. Mais il faut parler de circulation des gens avec les institutions africaines, de l’ouest, de l’est, du centre.
La politique de répartition des réfugiés dans les états membres ne fonctionne pas. Faut-il contraindre les états ou s’appuyer sur des réseaux volontaires comme celui des villes ?
On travaille aussi sur des villes mais on ne peut pas abandonner la responsabilité des états membres. Le président Junker a proposé la solidarité équitable pour des états qui ne se sentent pas obligés d’aider les autres. Au début, on a cru que c’était un problème de l’Italie et de la Grèce : après quelques années, on a vu que c’était le problème de tout le monde. La solidarité flexible, c’est quoi ? Je suis contre. Les états membres doivent assumer.
Comment gérer le désir des migrants qui veulent se rendre dans tel ou tel pays d’Europe ?
À court terme, il y a des voies légales pour l’asile avec des corridors humanitaires pour les gens qui fuient par exemple la Syrie. Il y a des programmes de visas humanitaires qui donnent la possibilité de quitter le pays par des moyens légaux. Pour les gens déjà sur le terrain (en Europe, N.D.L.R.), on a demandé des critères précis dans la relocalisation. Il faut tenir compte du regroupement familial, du regroupement de communautés. On le fait avec 160 000 personnes, et ça ne fonctionne pas. Pourtant, 160 000, ce n’est pas comparable au 1,2 million ou 2 millions de réfugiés qu’on trouve dans certains pays. Le vrai problème, c’est la volonté politique.
Tous les migrants arrivant de pays en guerre ou de dictature n’obtiennent pas forcément le statut de réfugié…
Malheureusement, je ne peux pas changer les choses, il faut suivre les règles communautaires de l’Europe. Si cela ne dépendait que de moi, je ne renverrai personne car ce sont des victimes et je ne distingue pas. Quand je vois quelqu’un dans mon cabinet (la députée est médecin de profession, N.D.L.R.), je ne distingue pas l’origine du malade, d’où il vient, la couleur de sa peau : je le soigne. Là, je dois connaître les causes qui poussent les gens à se déplacer. Si je renvoie la personne, je dois toujours me dire où je la renvoie : si c’est dans un pays en guerre, un pays où elle n’a pas de possibilité de s’en sortir, je la jette dans les mains des trafiquants car elle ne va pas rester. Je suis plutôt sur des programmes volontaires si elle veut rentrer. Il y a des responsabilités des deux côtés, de l’Europe et de l’Afrique, il faut demander aux responsables pourquoi les gens ne sont pas capables de rester dans leur pays. La liberté de se déplacer, de migrer, est un droit pour tout le monde, ce n’est pas moi qui l’ai inventé.
Cette position d’ouvrir les frontières ne ferait-elle pas monter les populismes en Europe ?
Non, c’est une approche holistique (entière, globale, N.D.L.R.) car on travaille aussi sur les causes dans les pays. Ça n’arrive pas du jour au lendemain. Moi, j’ai quitté la RDC et je suis arrivée en Europe car je voulais devenir médecin mais si j’avais eu une université sur place, je n’aurais pas quitté mon pays.
On doit résoudre de façon responsable cette immigration pour qu’elle devienne aussi une ressource. N’oubliez pas que la démographie sera un problème d’ici quelques années en Europe. Au lieu de renvoyer tout le monde, on ferait mieux d’en tirer quelque chose de positif.
18/12/2016, Christian Gouérou, Christelle Guibert, Michel Oriot et Antoine Victot.
Source : ouest-france