mardi 12 novembre 2024 23:22
mardi, 14 mai 2024 13:09

Entretien avec Aomar Boum pour son ouvrage « Le dernier Rekkas » Spécial

L’anthropologue marocain installé aux Etats-Unis et membre de l’Académie du Royaume Aomar Boum présentera, vendredi 17 mai 2024 à 18h30 à l’espace « Kitab » au Salon du livre de Rabat, son ouvrage « Le dernier Rekkas », co-édité par le CCME et la maison d’édition Langages du sud, et préfacé par le Président du conseil, M. Driss El Yazami.

En 24 chapitres, Aomar Boum retrace dans cet ouvrage, publié en arabe, en français et en anglais, la vie de son père, feu Faraji Ben Lahcen Ben Bourhim Ben Boum qui fut probablement l’un des derniers Rekkas du Maroc, ces messagers qui portaient à pied les lettres avant l’arrivée de la poste.

Méconnu pour les jeunes générations de l’ère numérique, ce métier est démystifié dans ce récit familial et historique à visée de partage et de transmission, illustré par Majdouline Boum-Mendoza qui n’est autre que la fille de l’auteur, née aux Etats-Unis et âgée aujourd’hui de quatorze ans. L’auteur et sa fille y scellent les liens entre trois générations et entremêlent leur histoire familiale et la grande histoire du Maroc, éclairant au passage des pans peu connus de notre passé.

Dans un entretien à la MAP, Aomar Boum confie que « Le dernier Rekkas » est « une biographie familiale et un récit d’événements historiques du point de vue d’un villageois ordinaire du sud-est du Maroc ».

« Majdouline et moi nous utilisons la voix ethnographique de Faraji – mon père et grand-père de ma fille – pour raconter une histoire locale passée sous silence ou négligée. Faraji et la région de Tata deviennent, dans cette optique, des points d’ancrage de notre histoire pour raconter l’histoire du Maroc », explique-t-il.

La question de la transmission est centrale dans l’œuvre de cet historien anthropologue qui enseigne à l’Université de Californie, Los Angeles (UCLA), en plus de ses contributions en tant que Professeur Associé à l’Université Internationale de Rabat.

« En éducateur », il affirme croire « en l’importance du message et des moyens de transmission pour une transmission réussie des connaissances » tout comme, en tant que Marocain résidant aux USA, il est attaché à « rester en contact avec le Bled, les parents et la famille » ou encore, en tant que père, il tient à « maintenir un lien entre sa fille et son oasis natale ».

« Le dernier Rekkas » est « un exercice littéraire et artistique de transmission non seulement de la mémoire familiale mais aussi de l’histoire nationale », enchaîne celui qui considère le recours au livre illustré ou à la bande dessinée aujourd’hui comme « une exigence pour pouvoir impliquer la jeune génération largement connectée aux images et aux visuels ».

De par le métier de son père rekkas, son récit revient évidemment « aux origines de la poste marocaine » depuis la période coloniale où, jusqu’à la mise en place du télégraphe, le recours aux services des rekkas restaient indispensables tant de nombreuses régions du Maroc étaient dépourvues de routes et de voies ferrées.
Sur les traces de Faraji et les multiples voyages qu’il effectua à pied ou à dos d’âne, « son fidèle compagnon », pour livrer à destination des messages écrits ou verbaux, bravant les nombreux dangers et obstacles se dressant sur son chemin, cible privilégiée des assauts de bandits, l’ouvrage se lit comme une revisite de la grande histoire du Maroc. La narration s’arrête sur de grandes périodes du passé colonial jusqu’à l’Indépendance et l’épopée de la Marche verte, en passant par la mutation du modèle agricole marocain, sur fond de succession de sécheresses, en particulier dans les zones oasiennes du Sud, les spécificités culturelles locales, la diversité et l’ouverture de la société marocaine…
Pour l’auteur, « Le dernier Rekkas », témoin en personne de nombreux événements locaux, régionaux et mondiaux, est, fondamentalement, l’histoire d’ « un messager qui a vécu l’histoire marocaine des années 1930 jusqu’en 1975 » avec un sens élevé de patriotisme qui se traduit notamment par sa participation à la Marche Verte. Il s’agit d’ « une micro-histoire qui va à l’encontre de la tradition normale de l’écriture historique qui ne se concentre pas sur les gens ordinaires », affirme-t-il.

Richement documenté, le livre de Aomar Boum s’appuie, en plus d’entretiens avec Faraji, Mahira, son épouse, et d’autres villageois de l’Anti-Atlas, sur des collections d’archives des périodes précoloniales, coloniales et postcoloniales, des recherches menées dans diverses institutions à travers le monde, dont les Archives du Maroc, le Centre des Archives Diplomatiques de Nantes (CADN) et la UCLA Library.

Préfaçant l’ouvrage, le président du Conseil de la communauté marocaine à l’étranger (CCME), Driss El Yazami, relève que l’ouvrage d’Aomar et Majdouline Boum fonctionne aussi comme « une belle leçon d’histoire tout court, nous invitant à revisiter, grâce à l’hommage au dernier Rekkas, quelques angles morts de notre passé proche dont les problématiques des discriminations, de la couleur de peau et du racisme, de l’esclavage, etc. »

Le récit, estime-t-il, soulève « une problématique essentielle aux yeux de tout parent, et notamment au sein des familles de l’immigration, celle de la transmission ».

Titulaire de la chaire Maurice Amado d’études sépharades au Département d’Anthropologie, au Département d’Histoire et au Département de Langues et Cultures du Proche-Orient à UCLA, l’historien anthropologue Aomar Boum est coéditeur de plusieurs revues dont Souffles Monde, Revue d’Études Tamazgha, la série Maroc et son espace méditerranéen: textes et traductions. Il est aussi co-fondateur de l’initiative d’Études Amazighes à UCLA, et co-directeur de l’Initiative d’Études Juives Marocaines à la même université.

Avec MAP

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