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15 juillet - Paris - La "movida" à la marocaine témoigne d'une nouvelle liberté de ton, par Driss El Yazami

mercredi, 15 juillet 2009

C'est en écoutant les paroles des rappeurs marocains, les Fnair, Hoba Hoba Spirit, H-Kayne, Bigg, Darga... que l'on peut probablement saisir les avancées et les contraintes de la décennie écoulée. Dans une langue populaire qui n'hésite pas à faire des emprunts au français ou à l'anglais, avec des rythmes alliant le patrimoine musical national aux musiques du monde, ces jeunes parlent pour l'ensemble de la société. Leurs chansons disent à la fois l'amour du pays, les frustrations de la jeunesse, ses attentes et ses espoirs. Ce mouvement, les Marocains l'appellent nayda, littéralement "ça bouge", manière de désigner l'actuel bouillonnement culturel et social, une movida à la marocaine.

C'est en premier lieu cette liberté de ton que l'on doit reconnaître. Elle se manifeste aussi dans la société civile comme dans une presse variée et dynamique.

Ce sont ensuite trois réformes essentielles qui ont pris en compte des problématiques centrales pour un Maroc en transition : le pluralisme ethno-culturel, l'égalité des genres et les droits de l'homme.

Pays musulman pluriel avec une composante amazigh (berbère) centrale et juive qui remonte à des temps immémoriaux, le Maroc assume aujourd'hui sans complexe sa diversité. L'Institut royal de la culture amazigh mène un programme d'intégration de l'enseignement de l'amazigh dans le primaire et de promotion de ce patrimoine en général. Il faut aussi signaler une initiative privée, unique sur cette rive : la création du Musée d'histoire du judaïsme marocain.

Le code de la famille adopté en 2004 - le plus avancé du monde arabe après celui de la Tunisie du président Bourguiba - consacre, à l'exception de l'héritage, l'égalité homme-femme. Quatre ans durant, la société a vécu, sur ce sujet sensible, un débat d'une rare intensité, significatif de l'alchimie marocaine, et qui a culminé en mars 2000 avec deux grandes manifestations à Casablanca et à Rabat. La démocratie, de nos jours, n'est-ce pas de garantir la confrontation pacifique des points de vue, la gestion des dissensions et des intérêts contradictoires ?

C'est, au fond, à une réhabilitation du politique qu'a procédé la commission marocaine pour la vérité, créée par le roi Mohammed VI en janvier 2004. Chargée de l'épineuse question des violations graves des droits de l'homme entre 1956 et 1999, l'Instance équité et réconciliation (IER) a effectué un travail considérable, consigné dans son rapport rendu en novembre 2005 et qui fait désormais partie du patrimoine universel de la justice transitionnelle. La mise en oeuvre des recommandations émises pour garantir la non-répétition desdites violations est aujourd'hui exigée, même par les adversaires de l'expérience. Outre l'indemnisation et la prise en charge sanitaire des victimes, un ambitieux programme de réparation communautaire, la diffusion des témoignages des anciennes victimes par les médias d'Etat, il y a eu un débat pluraliste qui perdure encore sur l'histoire controversée du Maroc indépendant.

Cette capacité d'introspection a présidé aussi à l'élaboration, par 80 chercheurs marocains de toutes disciplines, du rapport du cinquantenaire sur un demi-siècle d'indépendance qui fut remis au souverain en même temps que le rapport de l'IER. Distribué dans les kiosques à un prix modique, disponible en cinq langues, le rapport dresse un bilan sans complaisance des réalisations, des échecs et des défis actuels du pays.

C'est probablement ces dynamiques que l'Union européenne a voulu accompagner en accordant au Maroc un statut avancé, le premier de la zone euroméditerranéenne. C'est là un appui considérable. La consolidation d'un processus de réformes exige une volonté politique au sommet et une société dynamique, conditions qui paraissent réunies au Maroc, mais aussi un environnement international et régional favorable. La confiance des Européens étant acquise, les crises intramaghrébines risquent de handicaper pour longtemps le dynamisme marocain. Ce n'est pas le seul enjeu, loin s'en faut.

Les défis sont nombreux et l'urgence de les relever est d'autant plus impérieuse que la crise mondiale n'épargne pas plus le Maroc que d'autres pays.

L'indispensable réforme de la justice a été réaffirmée dans trois discours récents du souverain. Les projets de nouveaux codes - pénal et de procédure pénale - ont été soumis au Conseil consultatif des droits de l'homme, qui vient de préconiser de substantiels changements. Reste aussi la mise en oeuvre de la recommandation de l'IER relative au renforcement de l'indépendance de la justice par le changement de la composition et des prérogatives du Conseil supérieur de la magistrature.

Le cadre légal et déontologique de l'exercice de la liberté de la presse pose toujours problème. Alors que les publications se multiplient et se diversifient avec une liberté de ton incontestable, que l'audiovisuel se libéralise - avec notamment l'émergence de nombreuses radios privées toniques -, le Maroc doit consacrer définitivement la liberté de la presse.

La mise en oeuvre de l'ambitieuse charte de réforme de l'éducation et de la formation, adoptée depuis dix ans à la suite d'un vaste débat national, piétine toujours. Malgré une scolarisation généralisée à plus de 90 %, la qualité des apprentissages demeure pauvre, les déperditions scolaires massives et le chômage des diplômés endémique. Le taux d'analphabétisme dépasse toujours 40 %. On peut espérer que le récent plan d'urgence entrepris avec un budget public considérable permette d'apporter un nouveau souffle à la rénovation de ce domaine crucial.

En dépit des acquis en termes de régularité et de transparence des consultations démocratiques, la faible participation électorale est préoccupante et interpelle l'ensemble des acteurs, notamment les partis politiques. L'équation marocaine est ainsi faite : une tension opiniâtre de l'Etat vers la réforme et la modernité politique, de nombreux défis, un profond bouillonnement de la société. "Nayda", en somme.


Driss El Yazami est ancien membre de l'Instance équité et réconciliation, président du Conseil de la communauté marocaine à l'étranger (CCME).

Source : www.lemonde.fr

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