Le troisième colloque « Décolonisons les imaginaires » organisé par la Mairie de Paris se penche sur la possibilité d’être enterré en France selon la tradition musulmane. En cause, la création de carrés musulmans dans les cimetières laïcs, tolérée en principe mais laissée au bon vouloir des municipalités… Omar Samaoli, gérontologue spécialiste des questions d’immigration, pose les termes du débat, avant le rendez-vous du 3 novembre à la Mairie de Paris.
Terrafemina : La mairie de Paris organise un colloque sur la question du droit à la sépulture pour les musulmans de France. Combien de personnes sont concernées en France ?
Omar Samaoli* : On estime qu’il y a en France 5 à 6 millions d’individus de culture musulmane, il ne s’agit pas de pratiquants, mais de personnes qui se réclament d’une identité musulmane. Cela comprend les générations d’immigrés implantés en France pour travailler dans les années 50, 60 et 70, qui sont restés sur notre territoire, et se sont enracinés ici avec leur famille. Ainsi leurs enfants, et petits-enfants, mais aussi tous les Français de culture musulmane, sont concernés par la demande d’une sépulture qui corresponde à leur culture.
TF : A l’heure actuelle, quelles sont les options qui se présentent à ces personnes quant au choix de leur sépulture ?
O. S. : Quand une personne de culture musulmane décède, sa famille émet le souhait de respecter ses aspirations spirituelles. La famille se trouve souvent confrontée au manque de carré musulman. Il existe à peine une centaine de carrés musulmans en France, et la loi n’autorise pas la création de cimetières entièrement confessionnels (disposition dont bénéficient désormais les citoyens musulmans de Strasbourg vue les statuts concordataires spécifiques de l’Alsace-Moselle). Le choix se solde bien souvent par l’obligation d’être rapatrié vers les pays d’origine. Jusque dans les années 80, les populations issues de l’immigration faisaient souvent ce choix d’être enterrées dans leur pays d’origine, certains pays, comme le Maroc, prennent en charge les frais de rapatriement au besoin. Mais de plus en plus les immigrés se sont mis à penser leur sépulture sur le sol français, ils ont fait des enfants en France, et s’est posée la question pour eux de construire leur mémoire et de s’enraciner. C’est là qu’on a réalisé que la France n’avait rien prévu pour accorder à ces populations d’être enterrées ici, selon leurs convenances spirituelles.
TF : Précisément, la loi s’oppose-t-elle à la création de carrés musulmans dans les cimetières français ?
O. S. : Les lieux de sépulture français sont sous la tutelle des mairies, et les cimetières sont communaux, c’est-à-dire que conformément à la loi de 1905, ils ne sont pas censés être d’une confession religieuse ou d’une autre. Cette loi interdit également le regroupement par confession dans les cimetières, pour respecter la neutralité du lieu. Ainsi, depuis un siècle, la France n’a pas légiféré sur cette question, mais le ministère envoie des circulaires pour inviter les maires, selon leur bon vouloir, à octroyer le droit de créer un secteur pour les défunts de confession musulmane. Le fait de confier cette question à la charge des municipalités engendre évidemment des inégalités de traitement, et des récupérations politiques en tous genres. Ces réponses aléatoires négligent la souffrance spirituelle de Français qui veulent être enterrés auprès de leurs enfants et petits-enfants.
TF : La question des carrés musulmans exige de repréciser le concept de « laïcité », entre la liberté de culte pour chacun et la neutralité pour tous. Qu’en pensez-vous ?
O. S. : Je ne comprends pas pourquoi la France refuse de faire ce que tous les pays acceptent, à savoir la possibilité de créer des cimetières confessionnels. Ils existaient avant 1905, et on ne les a pas communalisés… Selon moi l’alibi de ne pas froisser la laïcité est un prétexte, cette laïcité doit s’entrouvrir pour faire de la place aussi aux musulmans. Bien plus, j’estime que cette revendication pour la création de carrés musulmans révèle un désir profond d’intégration : on ne veut plus être enterré de l’autre côté de la Méditerranée, mais ici, dans les cimetières communaux.
*Omar Samaoli est gérontologue, directeur de l'Observatoire Gérontologique des Migrations en France (OGMF), auteur de « Retraite et vieillesse des immigrés en France », L’Harmattan.
1/11/ 2011, Marine Deffrennes
Source : Terrafemina