Si en Europe, la question du vote dans les pays d'origine des immigrants est surtout politique et se pose différemment selon les pays d'installation et selon leurs lois encadrant la citoyenneté des immigrants, au Canada, le débat a été relancé par les élections du 22 octobre 2011 pour la composition de l'assemblée constituante tunisienne. En effet à la mi-septembre, à la surprise générale, le gouvernement canadien annonçait que, selon la loi, les Tunisiens du Canada ne pourraient voter ici pour élire leurs représentants à la constituante. En effet le Canada ne pouvait représenter une circonscription extra-territoriale de la Tunisie et l'ouverture des bureaux de vote serait donc interdite.
Alors que les Tunisiens du monde entier s'apprêtaient à participer à ces élections historiques, issues de leur révolution et d'un processus démocratique, il paraissait très étrange que le Canada, reconnu pour être le pays des droits de la personne et du citoyen, s'oppose à leur participation démocratique ici. Toutes sortes de tractations ont eu lieu au niveau diplomatique entre les deux pays et à l'international et finalement les Tunisiens du Canada ont été autorisés à participer au vote à la condition que le gouvernement canadien n'ait pas à s'occuper de la sécurité des bureaux de vote. En filigrane, il y avait sans aucun doute la crainte que des Canadiens tunisiens musulmans connus pour leurs positions activistes au Canada soient élus par leurs compatriotes pour les représenter en Tunisie.
Mais cette décision allait bien au-delà des Tunisiens et des réalités dans les pays arabes. Tous les immigrants au Canada, pour la plupart aussi citoyens canadiens, se sont inquiétés de leur droit de participer aux élections dans leurs pays d'origine respectifs. Précisons que de nombreuses communautés votent au Canada et y élisent des représentants pour les institutions politiques de leurs pays d'origine. Les Français qui vont bientôt voter pour les élections résidentielles et les Italiens qui suivent, se sont demandé si cette loi serait aussi appliquée à leur cas!
Et ce qui est en jeu, c'est la double citoyenneté et la double appartenance politique des immigrants au Canada et au Québec. Le Canada est un des pays d'immigration qui accorde rapidement la citoyenneté, après trois ans de résidence permanente et un examen portant sur la langue et la connaissance civique du Canada. On y accorde aussi la citoyenneté canadienne sans demander aux immigrants de renoncer à leur nationalité d'origine. C'est reconnu dans le monde comme une politique d'immigration progressiste qui tisse aussi des liens entre les différents pays.
Un problème pour leur intégration ?
En fait, au contraire, les citoyens canadiens issus de l'immigration qui ont une participation politique ici sont aussi souvent ceux qui ont gardé un lien social et démocratique avec leur pays d'origine et plus encore ceux qui avaient un engagement politique dans leur pays d'origine seront les plus enclins à s'engager socialement ou politiquement dans leur nouvelle société. C'est comme si l'engagement citoyen et politique se transférait d'un pays à l'autre dans l'immigration.
Plus encore il semble bien que dans ces participations, on développe des compétences civiques qui sont transnationales et qui pourront être mises au service de différentes causes dans la société d'accueil. Ainsi par exemple, des hommes et des femmes réfugiés de Colombie qui étaient des militants syndicaux ou encore des défenseurs des droits de la personne dans leur pays d'origine ont dû le fuir parce que leur vie y était en danger à cause de ces activités. Ici au Québec, et plus spécifiquement dans notre région, ils vont réinvestir cette énergie et ces compétences en défendant des causes sociales comme la lutte contre la violence faite aux femmes, l'accès aux droits des personnes les plus vulnérables de notre société comme les personnes aînées ou encore la représentation des immigrants dans les instances politiques locales.
Et les jeunes ?
Les jeunes dont les parents étaient immigrants et qui ont vécu leur scolarité au Canada ont souvent la double citoyenneté et sont encouragés par leur famille à entretenir des liens civiques avec leur société d'origine tout en participant pleinement à la vie sociale québécoise. Ces jeunes sont le plus souvent en réussite scolaire, créent des réseaux transnationaux qui les supporteront dans leur carrière et dans leur vie sociale, font profiter leur entourage scolaire, professionnel et social de ces réseaux et de ces appartenances multiples. Ce sont des citoyens du monde bien ancrés au Québec et dans nos régions!
Une chance pour nos régions ?
Finalement rappelons que ces appartenances et participations multiples construisent des liens forts entre les pays d'origine de nos immigrants et le Québec. Ce sont-là des réseaux internationaux et interculturels dont nos régions pourraient profiter plus pleinement.
À Sherbrooke, nous avons la chance d'avoir de nombreuses communautés culturelles parmi nos citoyens: des Marocains, des Brésiliens, des Argentins, des Péruviens, des Burundais, de Ivoiriens ou encore des Serbes, Bosniaques, Roumains, Chinois et bien d'autres.
On peut bénéficier de leur présence et de leur participation en organisant des jumelages socioculturels entre nos villes et certaines de leurs villes d'origines ou encore en initiant des missions réciproques de développement économique et touristique entre nos régions. On pourrait aussi développer des projets qui unissent des écoles de ces pays d'origine aux nôtres en favorisant des apprentissages linguistiques et culturels par le biais des nouvelles technologies mais aussi de voyages et finalement nos organismes d'accueil et d'intégration des immigrants pourraient aussi participer à des projets de développement international en lien avec ces régions que les immigrants locaux connaissent bien et dont chacun, ici et là bas, pourrait bénéficier!
Alors les doubles appartenances des immigrants ouvrent nos régions à de nouveaux liens internationaux. Profitons-en!
7/11/2011, Michèle Vatz-Laaroussi
Source : La Tribune/ La Presse.ca