La politique en matière d'immigration menée sous Nicolas Sarkozy a été critiquée sous divers angles -engorgement des services policiers, judiciaires et administratifs soumis à la politique du chiffre, compatibilité de cette politique avec le statut autoproclamé de «pays des droits de l'homme» de la France; plus récemment, c'est le harcèlement administratif dont font l'objet les étudiants étrangers qui a fait l'actualité, le ministre de l'Intérieur (lire Libération du 23 mai) proclamant au passage que la France «n'a pas besoin de talents étrangers, de maçons et de serveurs de restaurant». Mais elle n'est que rarement analysée sous l'angle économique.
C'est qu'il y a sur ce sujet un assez large consensus entre gauche et droite. A droite, le ton a été donné par Jacques Chirac qui déclarait en 1976 que «900000 chômeurs ne devraient pas être un problème dans un pays comprenant près de 2 millions de travailleurs immigrés», et à gauche, par Michel Rocard expliquant que la France «ne peut pas accueillir toute la misère du monde» en 1990.
La seule différence, le degré de générosité
En 2005, la peur de l'invasion du territoire national par des hordes de plombiers polonais était partagée à gauche comme à droite. Pour les deux bords, les immigrants sont perçus comme une charge pour l'économie et la société française. La seule différence tient au degré de générosité que l'on daignera accorder vis-à-vis des immigrés. Dans son programme, François Hollande se cantonne à des banalités, indiquant que le codéveloppement permettra de résoudre notre «problème migratoire».
Cette idée de l'immigration comme une charge, un problème, est peut-être payante électoralement; mais elle est économiquement très coûteuse. Comme le rappellent les économistes Ian Goldin et Geoffrey Cameron dans un récent ouvrage synthétisant les connaissances les plus récentes sur l'immigration (Exceptional People: How Migration Shaped Our World and Will Define Our Future, mai 2011, Princeton University Press, 352 pp.), il existe un large consensus parmi les spécialistes sur l'impact positif des flux migratoires sur la croissance économique, les salaires et l'emploi dans les pays qui reçoivent des immigrants. Restreindre l'immigration anémie la croissance et nuit à l'emploi.
Les craintes vis-à-vis de l'impact des migrants sont fondées sur l'idée que ceux-ci risquent de se substituer aux travailleurs nationaux, tout particulièrement les peu qualifiés, exerçant une pression à la baisse sur leurs salaires. Mais l'expérience montre que, en réalité, les immigrants sont beaucoup plus complémentaires que substituts aux salariés nationaux, exerçant pour l'essentiel des métiers dans des secteurs en pénurie d'emploi. Les immigrants peu qualifiés travaillent dans des secteurs qui n'attirent pas les salariés nationaux, et les plus qualifiés dans des secteurs dynamiques dans lesquels la formation ne suit pas l'offre d'emplois.
Un effet positif sur les salaires
De la même façon qu'un chirurgien aura du mal à travailler dans un pays qui connaît une pénurie d'anesthésistes, ces complémentarités entre nationaux et migrants font que les arrivées d'immigrants ont un effet positif sur les salaires et l'emploi des nationaux. Giovanni Peri a ainsi calculé qu'une hausse de 1% des flux migratoires entraîne une augmentation comprise entre 0,6 et 0,9% des salaires réels à long terme. Et ce sans prendre en compte le fait que la diversité apportée par les immigrants contribue à la création d'idées et à la croissance économique (forte proportion d'immigrants naturalisés parmi les prix Nobel américains; Google, Intel, Paypal, eBay et Yahoo ont été fondées par des immigrants).
Les migrants sont aussi contributeurs nets des systèmes sociaux, en moyenne à hauteur de 1% du budget total dans les pays européens. L'Organisation mondiale du travail estime par exemple que, en Allemagne, un immigrant arrivant à l'âge de 30 ans apportera une contribution nette (recettes moins dépenses) de 150000 euros aux budgets publics en moyenne sur l'ensemble de sa vie.
Nicolas Sarkozy souhaitait, en début de mandat, aller chercher les points de croissance manquants «avec les dents». Les dents en question, en servant à dissuader les immigrants, ont eu l'exact effet inverse.
14/11/2011, ALEXANDRE DELAIGUE
Source : Libération