dimanche 24 novembre 2024 00:47

Propos de Claude Guéant sur les immigrés : domination et violence symboliques

L'expression "identité nationale" n'est pas lâchée, il est question cette fois-ci de "modes de vie" et "coutumes" des Français. Une rhétorique clivante et éloignée de la réalité explique le chercheur Jean-Louis Pan Ké Shon, qui a mené de nombreuses enquêtes de terrain.

Les déclarations de Claude Guéant sur LCI puis à Montfermeil vendredi dernier visent à nouveau "les immigrés que nous accueillons chez nous" et qui "devraient adopter les modes de vie des Français". Il répète jusqu’à l’écœurement cette antienne et l’agite comme un chiffon rouge afin d’exciter les réactions indignées du "peuple de gauche" et occuper ainsi le champ médiatique dans une stratégie préélectorale maintenant habituelle.

Flatter les tendances xénophobes a aussi l’avantage de capter un électorat disputé avec l’extrême-droite. La conscience de cette manipulation inciterait au mutisme affligé d’autant qu’elle met à mal la fonction de ministre de l’Intérieur, dont sa fonction demanderait au contraire le respect des cultes et de garantir la paix publique. N’y aurait-il pas plutôt avantage à travailler plus sérieusement sur les profonds dysfonctionnements d’une partie de la police de banlieue encouragés par une gouvernance politique cultivant les stéréotypes envers l’immigration africaine (voir Didier Fassin, 2011) ?

M. Guéant s’est bien vite engouffré dans les constats, supposés effrayants, d’une intensification de l’identité musulmane à Clichy-sous-Bois (une des banlieues de France les plus défavorisées). Il tente au passage de justifier une "Charte des droits et des devoirs du citoyen français" qui instaure deux catégories de citoyens, (les immigrés peuvent être déchus de la nationalité française dans certaines conditions) et aboutit de fait à marquer implicitement la domination symbolique de la culture chrétienne sur cette part des immigrés assignés à une culture musulmane devenue non miscible dans la société française.

Violence symbolique

Il y a une violence symbolique terrible envers les immigrés dans l’affirmation du ministre de l’Intérieur lorsqu’il assène : "…mais les personnes immigrées doivent aussi se plier à cette volonté qui est la nôtre. Quand on vient en France on adopte les modes de vie français et on n’importe pas les modes de vie d’ailleurs". Les lois françaises doivent être respectées évidemment par tous (pas seulement les immigrés), mais ce n’est pas au ministère de l’Intérieur de répertorier "nos modes de vie" (quels sont-ils ?) afin de vérifier ensuite s’ils sont respectés, sinon à quoi bon cette diatribe ?

Cet imaginaire d’une religion musulmane envahissante et anxiogène qui viendrait éroder le pacte républicain français est développé par des édiles coupés de la réalité. Hors de la fiction lancinante d’une immigration peuplant des quartiers en sécession identitaire, il est nécessaire de rappeler que parmi les quartiers les plus défavorisés (les 100 zones franches urbaines de la politique de la ville), les immigrés maghrébins, les Africains subsahariens et les Turcs ne représentent que 25 % de leur population, 43 % avec leurs descendants (dont 97 % sont Français) et sont mélangés à plus d’une trentaine d’autres origines dont les Français de naissance, qui représentent à eux seuls 36 % des habitants de ces quartiers.

Idées reçues vs recensement

En réalité, les diverses vagues d’immigration, belge, suisse, polonaise, italienne, espagnole, portugaise et maintenant africaine ont toutes été considérées comme inassimilables et leur présence problématique en leur temps.

Ce que nous révèle aujourd’hui les recensements, c’est que les immigrés africains et maghrébins se diffusent progressivement dans l’ensemble des types sociaux de quartiers. Au fil du temps, leurs comportements démographiques convergent avec ceux de la population majoritaire et au fil des générations les disparités sont progressivement gommées, pourvu qu’on tienne compte des parcours souvent initiés à partir d’un échelon très modeste de l’échelle sociale.

Il reste que le phénomène minoritaire de la progression de l’islam en banlieues défavorisées n’est pas inquiétant en soi (dirait-on que la progression du christianisme est inquiétante ?), mais révèle un besoin d’affirmation pour des personnes infériorisées continuellement dans la société française, comme a pu l’être le mouvement des Black Muslims aux Etats-Unis pour la population Afro-américaine aux traditions pourtant chrétiennes. La déclaration de M. Guéant en est une illustration.

21/11/2011, Jean-Louis Pan Ké Shon

Source : Le Nouvel Observateur

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