A Rotterdam, l’afflux de population immigrée pose question. La solution ? L’apprentissage de la langue et le respect de valeurs communes.
En plein centre de Rotterdam se dresse la Red Apple, une tour résidentielle moderne de 127 mètres. Ce nom se réfère non seulement à la couleur de l’immeuble, mais aussi au marché aux pommes qui était là auparavant. Sur le quai, tout près de cette haute tour, il y a un pommier sauvage qui a poussé à partir d’une petite graine laissée là par le marché aux pommes. Cet arbre a survécu à tout : au bombardement du 14 mai 1940, qui a anéanti presque toute la ville, mais aussi à la reconstruction qui a suivi et même à la construction de la Red Apple.
Le pommier montre que quelque chose de petit, quelque chose de fragile, peut se développer, même dans un environnement urbain rigide. Ceci s’applique aussi aux citadins. La ville peut faire monter les gens dans l’échelle sociale, les aidant à atteindre un niveau supérieur, car elle offre des opportunités sans précédent.
C’est pourquoi les gens sont partis pour la ville et c’est pourquoi il existe encore des flux migratoires considérables. La ville est une machine à émanciper. La migration vers les villes d’Europe occidentale s’est déroulée selon un schéma bien défini. les nouveaux arrivants se sont installés dans les quartiers anciens, et dans des pensions ou des maisons délabrées. Ils étaient souvent jeunes, célibataires, peu éduqués et pauvres, et venaient ici afin de bénéficier d’un avenir meilleur pour leur famille.
Plus tard, ils ont fait venir leur femme et leurs enfants pour s’établir ici, avec cette éternelle question qui hantait leur esprit : était-ce temporaire ou permanent ? Pour certains, le rêve est devenu réalité. Des enfants d’immigrés ayant réussi formèrent de nouvelles classes moyennes ethniques, se déplaçant souvent vers de meilleurs quartiers ou vers des zones d’habitation attractives dans la région. D’autres sont restés, ayant de nouveaux immigrants comme voisins : des gens d’Afrique et des nouveaux pays de l’UE (Europe centrale et de l’Est).
L’afflux rapide et continuel de nouveaux groupes suscita un grand mécontentement, notamment parmi les Rotterdamois d’origine. Ils se sentaient étrangers dans un monde où tout change. Où l’habituelle boutique du coin devient tout d’un coup une boucherie musulmane. Où les églises disparaissent et les mosquées apparaissent. Où laver le seuil de sa porte le vendredi matin n’est plus une habitude bien ancrée.
On demandait aux habitants des vieux quartiers plus que ce qu’ils ne pouvaient réellement supporter. Leurs réclamations ont parfois été ignorées ou n’ont pas été entendues par les responsables politiques. Cela s’appliquait aussi aux immigrés de la première et de la deuxième heure. Eux aussi ont perdu leur emprise initiale sur le quartier en constante évolution. Eux aussi se sont sentis comme des étrangers dans une nouvelle ère.
L’administration de Rotterdam a assumé ses responsabilités au début de ce siècle, et continue de le faire.
A Rotterdam, on pratique le dialogue et le débat. Nous avons mené des débats houleux avec des milliers de Rotterdamois, immigrés et natifs, sur des questions difficiles telles que les mariages forcés ou les crimes d’honneur. Nous avons parlé des fondements de notre démocratie. Ces fondements sont : la liberté d’expression, la liberté de religion, l’égalité entre les hommes et les femmes, les homosexuels et hétérosexuels, et la lutte contre la discrimination et la précarité.
Les nouveaux arrivants doivent connaître et accepter ces valeurs et ces normes de l’Etat de droit. Car il s’agit de droits fondamentaux et nous devons les chérir. La caractéristique essentielle de l’intégration est de considérer son propre avenir et son identité comme étant liés à ceux de la communauté dont on fait partie.
Nous disons : qui va vers un autre pays doit faire de son mieux pour s’intégrer, parler la langue, suivre une formation et chercher un emploi. Tout commence par l’apprentissage de la langue du pays. Ainsi, nous appelons les immigrés de première génération à apprendre la langue, avec leurs petits-enfants qui vont à l’école.
En une seule ou deux générations sont rattrapés des retards de quelques siècles. Pas partout et pas par tout le monde, mais à une échelle croissante. Cela me donne l’espoir de voir les gens s’épanouir, tout comme ce pommier à côté de la Red Apple.
25/11/2011, Ahmed Aboutaleb Maire de Rotterdam, en débat avec Gérard Collomb, maire de Lyon.
Source : Libération