Date repère : 18 décembre 1990 : les Nations unies adoptent la Convention pour la protection des droits de tous les travailleurs migrants et de leur famille qui «vont exercer, exercent et ont exercé» un travail pendant «tout le processus de migration». Pour tous, avec ou sans papiers, des droits fondamentaux sont réaffirmés en « considérant la situation de vulnérabilité dans laquelle se trouvent fréquemment les travailleurs migrants et les membres de leur famille». La Convention «met en place des normes légales, fournit un cadre pour les lois et politiques nationales reconnaissant les vulnérabilités spécifiques des migrants et promeut des conditions humaines et légales de travail et de vie ». L'année dernière à l'occasion du 20e anniversaire de cette convention, l'Assemblée générale des Nations unies lançait une campagne mondiale pour demander aux Etats de mettre fin aux abus et à l'exploitation des migrants en protégeant leurs droits humains. Il reste que dans le monde entier, ces droits régressent quand ils ne sont pas foulés au pied et que, deux décennies plus tard, seule une quarantaine d'Etats ont ratifié cette convention.
Pourtant, presque tous les Etats sont concernés par les migrations, en tant que pays d'origine, de destination ou de transit des migrants, et pour beaucoup, comme le Maroc, par les trois à la fois. Autre constat : malgré la montée des extrêmes droite en Europe, le nombre des migrants ne cesse d'augmenter: les Nations unies estiment à 214 millions le nombre de personnes vivant en dehors de leur pays de naissance ou de nationalité et près de la moitié d'entre elles sont des travailleurs migrants actifs économiquement. En dehors du système des NU, il y a l'Organisation internationale pour les migrations (OIM), agence intergouvernementale basée à Genève issue du Comité intergouvernemental pour les migrations européennes, créée en 1951 pour aider la réinstallation des personnes exilées de la Seconde Guerre mondiale. L'OIM, qui compte 125 Etats, une centaine d'observateurs, ONG et Etats observateurs, plus de 340 représentations, plus de 5 500 membres du personnel «croit fermement que les migrations organisées, s'effectuant dans des conditions décentes, profitent à la fois aux migrants et à la société tout entière». Sa mission est d'agir avec ses partenaires pour aider à une bonne gestion des flux migratoires, favoriser la compréhension des questions de migration, promouvoir le développement économique et social à travers les migrations, et œuvrer au respect de la dignité humaine et au bien-être des migrants.
Le Maroc a signé en février 2005 un accord de siège avec l'OIM l'autorisant à instaurer une représentation dans le pays qui vise à «apporter une contribution efficace à la gestion des questions migratoires au Royaume du Maroc». Le bureau de l'OIM, en collaboration avec le ministère italien des Affaires étrangères, a organisé récemment un atelier international sur «La promotion des possibilités de partenariat entre les entreprises marocaines et italiennes». L'OIM souhaitant, selon sa représentante Anke Strauss, «promouvoir les échanges et les possibilités de partenariats en jouant un rôle de facilitateur, rôle essentiel dans un monde globalisé». L'occasion pour nous de faire un entretien avec le représentant de la Fondation Hassan II Abdessalam Ftouh qui a signé une convention entre la Fondation Hassan II et la Confédération nationale de l'artisanat et de la petite entreprise d'Italie la CNA.
LE MATIN : Vous êtes directeur à la Fondation Hassan II. Quel est le rôle de cette fondation ?
ABDESSALAM FTOUH La fondation est une institution qui a été créée en 1989 à la demande des ressortissants marocains à travers le monde et qui joue le rôle d'interface entre l'administration marocaine d'un côté et les migrants de l'autre et d'interface entre les Marocains de l'intérieur et ceux de l'extérieur. Elle est présidée par la Princesse Lalla Meryem et son président délégué est Omar Azziman récemment nommé conseiller de Sa Majesté le Roi. La fondation est organisée en 6 structures opérationnelles dont celle de l'assistance juridique, la promotion économique, le partenariat avec les ONG, le pôle communication et le pôle administration. Nous avons également un observatoire de la migration de la communauté marocaine à l'étranger qui est en fait un centre de recherche qui nous permet de suivre notre communauté et qui édite des documents. Nous avons un effectif de 660 salariés dont 540 enseignants à l'étranger. Parmi nos activités phares, il convient de noter l'organisation dans le cadre du séjour culturel de la venue chaque année d'un millier d'enfants des migrants. La fondation reçoit quelque 200 porteurs de projets par an et traite quelque 700 requêtes dans le domaine économique et près de 2 000 requêtes juridiques et autres…
Pourriez-vous faire une radioscopie rapide de la migration marocaine à travers le monde ?
La population des migrants est estimée à 11% de la population marocaine, soit 3,3 millions. Certains avancent le chiffre de 5 millions, car on pense qu'une partie de la population est déjà intégrée ou n'est pas inscrite dans les consulats. C'est une population jeune, 68% de cette population est en activité, 2,8% seulement ont plus de 60 ans et 29% ont moins de 15 ans. La migration s'est, au fil du temps, féminisée et aujourd'hui près de 46% sont des femmes migrantes. C'est une migration régionale qui a commencé vers les années 60-70 par les régions du centre pour toucher pratiquement toutes les régions. On constate aussi que 43,7% de cette population des migrants est née dans les pays d'accueil. Concernant la répartition spatiale, la France vient en tête, suivie par l'Espagne et l'Italie qui s'est ouverte à l'immigration dans les années 90. En 2007, 400 000 Marocains vivent en Italie dont les 2/3 dans le Nord.
Quelles sont les caractéristiques de cette migration ?
60% des Marocains sont des ouvriers mais nous avons de plus en plus de cadres moyens, soit 19,7% et 12% de ces cadres sont titulaires de Bac+4 au minimum. Cela veut dire que nous assistons à une migration de qualité avec des potentialités scientifiques de plus en plus avérées qui répondent aux exigences de cette politique sélective mise en place par les pays d'accueil. Près de 10% de cette population occupe des professions libérales. Dans les pays d'accueil, l'ascension sociale transgénérationnelle reste faible, ce qui nous fait penser que le taux de qualification de la migration provient davantage des nouveaux migrants et des compétences qui quittent le pays d'origine.
Comment cette migration a-t-elle évolué et quelles tendances sont en tarin de se dessiner ?
C'est une migration urbaine de compétences. Autre constat : le taux d'investissement de ces migrants dans leur pays d'origine a beaucoup évolué. Les primo migrants investissaient d'abord dans leurs pays, aujourd'hui avec la seconde et troisième génération, la priorité devient l'investissement dans les pays d'accueil. C'est une tendance qui se confirme notamment chez les jeunes. L'autre évolution que l'on peut constater, en particulier en Italie où la migration était individuelle, les salariés ont créé assez rapidement leur entreprise, contrairement aux migrants marocains en Belgique et en France. Dans ces deux pays, la migration était organisée pour envoyer les migrants dans les mines, dans les usines Renault.
Avons-nous des statistiques qui vont dans le sens de ces différences de parcours ?
En Italie, il y a eu pénétration de la société italienne. Les migrants qui se sont rapidement intégrés dans la communauté italienne ont travaillé dans les PME-PMI et ont appris le métier, créé leurs entreprises et généré des emplois. 38% des migrants en Italie sont leur propre patron ! Les entreprises dirigées par des Marocains ont pris forme notamment dans le secteur du BTP, la manufacture, les services, le transport et le commerce. Selon des publications italiennes, il existe quelque 30 000 entreprises créées et dirigées par des Marocains en Italie ! Les Marocains qui viennent en troisième position de migrant en Italie constituent les seconds investisseurs après les Chinois !
Pourquoi ne pas essayer d'organiser un flux entre les opérateurs marocains installés en Italie et les opérateurs italiens installés au Maroc en y intégrant les opérateurs marocains ?
C'est une initiative salutaire qui s'inscrit dans une logique gagnant-gagnant et que nous appelons de nos vœux pour créer des entreprises au Maroc et également un marché. Il reste que la migration d'aujourd'hui est une migration individuelle et qu'il est difficile d'orienter avec des injonctions cette migration. Nous travaillons dans une solidarité de voisinage à développer une politique de codéveloppement. Il y a des conditions pour favoriser ce que l'on appelle une migration circulaire, il faut une bonne gestion de ceux qui souhaitent retourner, notamment en termes de projets économiques et d'insertion des enfants à l'école, il faut favoriser l'investissement dans le pays d'origine, organiser l'accueil. Le retour ne peut réussir que s'il est librement choisi et nous avons constaté à travers nombre d'études réalisées notamment par l'Institut de Florence que le retour des migrants ne réussit que si le migrant est en possession de ses papiers, que s'il est bien installé dans le pays d'accueil. La migration circulaire et le codéveloppement passent par des actions associatives, par une réseautique transnationale qui véhicule les opportunités d'investissement car à la base de toute décision, il y a une logique économique. Cela passe aussi par la coordination du travail de différentes institutions pour fluidifier cette migration circulaire. Au Maroc, nous recevons des migrants subsahariens mais également des migrants des pays du Nord, de France, d'Espagne d'Italie, qui s'installent au Maroc. Il faut donc être proactif, pour mieux connaître les évolutions de ces tendances qui risquent de devenir des tendances lourdes. En fait et pour me résumer l'intégration, l'investissement et l'information sur le climat d'investissement notamment sont les anneaux d'une chaîne qui doivent aboutir à une bonne circulation du migrant favorable aux économies des pays d'origine et des pays d'accueil.
Est-ce que cette chaîne fonctionne pour ceux qui veulent retourner au pays ?
Non pas toujours. L'intégration laisse souvent à désirer, le transfert de la couverture sociale est souvent un problème pour ceux qui ont travaillé à l'étranger, la facilité de renouvellement de la carte de séjour n'est pas toujours acquise.
Si la liberté de retour dans le pays d'accueil est assurée, je suis sûr que les candidats au retour seront plus nombreux, car ils savent que l'accueil, l'accompagnement, le soutien sont assurés par la Fondation Hassan II.
Sur quels sujets portait la convention que vous avez signée avec la CNA italienne ?
Elle porte sur 4 points : une action conjointe pour la formation et l'information, le conseil assistance et défense des droits des salariés artisans ou patrons des PME-PMI, échange d'information et d'études sur les opportunités d'investissement, accueil et assistance aux porteurs de projets et échange d'informations sur ce segment de population des migrants.
La devise de notre fondation c'est « mieux connaître pour mieux servir ».
Où va l'argent des émigrés ?
Concernant le volume des transferts de fonds envoyés annuellement au Maroc, plusieurs études démontrent que les Marocains de l'extérieur représentent la cinquième communauté la plus importante au niveau mondial en termes de volume d'argent transféré au pays d'origine. De plus, il faut noter que les études ne prennent pas en compte les transferts de fonds via des canaux informels. Les migrants sont en effet souvent découragés par l'utilisation des canaux bancaires officiels compte tenu des lenteurs bureaucratiques, des coûts élevés et des taux d'échange défavorables. L'impact des transferts de fonds a une influence importante sur l'économie du Maroc. En effet, les transferts de fonds constituent la source principale de revenu, dépassant les profits générés par le secteur du tourisme ainsi que ceux découlant des investissements et prêts étrangers dans le pays. A son origine, la migration marocaine était surtout économique. Les comportements des ménages suivaient le schéma typique de la migration économique : les revenus du salaire étaient utilisés pour satisfaire les besoins fondamentaux du migrant et de sa famille vivant à l'étranger, alors que les épargnes étaient renvoyées au reste de la famille résidant au Maroc. Les transferts de fonds reçus au Maroc étaient destinés à l'investissement, à la consommation et à l'épargne.
Le secteur foncier a été et reste encore aujourd'hui le secteur principal d'investissement des transferts de fonds. Cela s'explique par le fait que bâtir une habitation dans son pays d'origine a pour le migrant une signification symbolique, à la fois la réussite de son expatriation et la perspective d'un retour. D'après une étude conduite par l'Institut national de statistique et d'économie appliquée (INSEA), bien que le secteur foncier reste largement prioritaire pour l'investissement des transferts financiers (83%), ces derniers commencent à être affectés également à de nouveaux secteurs tels que l'agriculture (7,5%), le commerce (4,9%), l'industrie (1,3%) et le tourisme (1,4 %).
De plus, les migrants marocains montrent apparemment une préférence pour investir leurs épargnes au Maroc (près de 70%) plutôt que dans le pays de résidence (23%). Selon cette même étude, ces nouvelles tendances d'investissement devraient s'accentuer dans les années à venir. En ce qui concerne les projets d'investissement des migrants marocains, ils se concentrent encore aujourd'hui dans le secteur foncier (35%), mais également et de façon croissante dans le secteur tertiaire, à savoir le commerce (27,4%), le tourisme (12,1%), ainsi que les nouvelles technologies et la communication. L'investissement dans l'agriculture apparaît un secteur d'investissement déclinant. Ces données sont le signe d'une transformation significative dans les préférences d'investissement des migrants et témoignent de l'émergence d'une culture d'entreprise parmi les membres de la diaspora.
Toutefois, les transferts de fonds pour le développement ne peuvent pas être adressés sans prendre en compte le capital humain et social de la diaspora et de ses membres.
6/12/2011, Farida Moha
Source : Le Matin, en PDF