samedi 23 novembre 2024 23:59

En Espagne, le rêve brisé des immigrés du boom économique

A Torrejon de Ardoz, près de Madrid, rien n'est plus comme avant. Cette cité dortoir modèle a su intégrer des milliers d'immigrés venus travailler dans une Espagne en pleine santé économique. Elle est aujourd'hui minée par le chômage et les illusions perdues.

Il y a encore trois ans, dans cette ville de banlieue située à 30 minutes en train de la capitale, les bars étaient pleins et les clients faisaient la queue devant les boutiques de transfert d'argent pour envoyer des fonds à leurs familles.

Aujourd'hui, la plupart des commerces encore ouverts sont déserts. On ne compte plus les centres d'appels téléphoniques, les coiffeurs africains ou les bars qui ont baissé le rideau.

Autant de restes d'une époque dorée, qui avait fait de Torrejon, comme tant d'autres villes de banlieue, un melting pot d'immigrés conquérants, peu qualifiés mais qui trouvaient du travail facilement, surtout dans la construction ou dans les services.
Dans cette ville, un quart des 118.000 habitants sont des immigrés. Surtout Roumains, Latino-américains ou Africains. Ces quinze dernières années, l'Espagne, en pleine euphorie de la construction, a accueilli plus de cinq millions d'étrangers. En 2005, le pays a même régularisé 600.000 travailleurs en situation irrégulière.

"On s'était habitué à la belle vie, aux loisirs, on avait pu acheter un bout de terrain dans notre pays, on faisait venir nos familles. Mais tout ça c'est terminé", résume Magali Quezada, une Péruvienne arrivée il y a dix ans à Torrejon.

Aujourd'hui les immigrés sont en première ligne face à la crise.

Luis Mendes, 40 ans, vient de Guinée-Bissau. Quand il est arrivé en Espagne en 1997, il a cru trouver son eldorado. Il a travaillé non stop dans l'agriculture, puis comme ouvrier dans la construction. Il a même obtenu un crédit de plus de 100.000 euros pour s'acheter un appartement de 70 m2.

 "rue des expulsions"

"Je gagnais bien ma vie, je gagnais 1.800 euros par mois, car souvent on faisait des heures supplémentaires. C'était assez pour aider ma famille", restée en Afrique, se souvient-il.

"Mais aujourd'hui je ne travaille plus. J'ai touché des allocations chômage pendant un an, mais maintenant je n'en n'ai plus", poursuit Luis, qui partage son appartement avec deux frères, également sans emploi.

Le taux de chômage s'élève à plus de 21,5% en Espagne, et les étrangers sont encore plus touchés, à 32,7%. Beaucoup sont surendettés, après avoir obtenu des crédits faciles, pour acheter un appartement ou une voiture, à une époque où les banques prêtaient sans trop regarder.

Aujourd'hui, Luis ne parvient plus à payer ses traites et pourrait être expulsé d'un jour à l'autre.

Dans la même rue que Luis, tristement surnommée "rue des expulsions", car plusieurs riverains sont menacés, un groupe d'"indignés" a tenté en vain fin novembre d'empêcher l'expulsion de Consuelo Lozano, une Equatorienne de 40 ans, qui devait encore 200.000 euros à sa banque.

"C'était une lutte contre des géants, et moi à côté je ne suis rien", a-t-elle confié, les larmes aux yeux, peu après avoir rendu la clef de son appartement.

Ces immigrés pensent-ils aujourd'hui à rentrer dans leur pays ?

Certains aimeraient partir, mais comme Consuelo, sont coincés en Espagne par un emprunt immobilier ou des dettes à rembourser.
Si elle a pu renvoyer ses enfants en Equateur, cette femme de ménage au chômage est contrainte de rester en Espagne, sous peine de transmettre sa dette à sa soeur, qui s'était portée caution pour son appartement.

Pas question de retour non plus pour Luis: "C'est très dur, je vis très mal" cette situation, mais "c'est encore pire dans mon pays", confie-t-il.

6/12/2011, Virginie GROGNOU

Source : AFP

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