Le marronnier quinquennal a enfin fait sa réapparition. Grâce au ministre de l'intérieur, le débat politique, à l'approche de l'élection présidentielle, porte enfin sur le vrai sujet, celui qui préoccupe tous les Français : l'immigration et le "trop d'étrangers".
Je ferai observer, en premier lieu, que je trouve, moi, qu'il y a trop de gauchers en France et qu'il faudrait légiférer pour y remédier… Plus sérieusement : que signifie l'attaque de Claude Guéant contre les étrangers ? Qu'il les estime trop nombreux, c'est son droit, individuellement. Qu'il le déclame, en tant que ministre de l'intérieur, sous tous les tons, devant tous les médias et en tous lieux, c'est inadmissible, irresponsable, voire pénalement répréhensible.
Des étrangers, il y en a toujours eu en France, terre d'immigration traditionnelle bien plus que d'émigration, et il y en aura toujours, pour le plus grand profit du pays. Dire qu'il ne faut plus en laisser entrer, c'est nier la réalité car la France en a besoin, économiquement, démographiquement, culturellement. La France a été façonnée par les étrangers, sans lqui elle ne serait pas ce qu'elle est. La France ne saurait se passer de la présence d'étrangers pour faire fonctionner son économie – il y a là de la main d'œuvre indispensable à certains secteurs de l'économie, au premier rang desquels, contrairement à ce qu'a récemment affirmé le même ministre de l'intérieur, le BTP. Elle ne saurait s'en passer pour développer son influence culturelle, malgré de désintérêt presque absolu des pouvoirs publics pour cet aspect de notre rayonnement dans le monde, comme en est la preuve l'absurde circulaire du toujours même ministre de l'intérieur donnant instruction à ses services de refuser tout titre de séjour aux étudiants étrangers qui souhaitent acquérir en France une première expérience professionnelle après l'achèvement de leurs études. En tant qu'universitaire, je mesure les ravages que cette politique va provoquer en termes de chute du nombre des étrangers venant étudier dans nos établissements d'enseignement supérieur. Le droit français – notamment le droit administratif – a déjà perdu beaucoup de son prestige dans le monde ; il va encore reculer, au profit du droit anglo-saxon, si la possibilité de pratiques en cabinet d'avocats ou service contentieux d'entreprises, entre autres, leur est fermée.
Mais le discours de Claude Guéant est, en plus, contraire aux normes juridiques qu'il est chargé, en tant que ministre, de respecter. Limiter encore l'exercice du droit d'asile, auquel de nombreux obstacles ont été dressés au cours des dernières décennies, nous mettrait encore plus en cennies, nous mettrait encore plus en contradiction avec notre propre Constitution – l'alinéa 4 du préambule de 1946 proclame que "tout homme persécuté en raison de son, action en faveur de la liberté a droit d'asile sur les territoires de la République" ; il faut accueillir les persécutés, ce que nous faisons mal –, avec la convention de Genève de 1951 – qui nous fait un devoir de protéger "toute personne persécutée en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance sociale ou de ses opinions politiques", ce que nous ne faisons pas mieux –, avec le droit communautaire – dont les directives fixent le cadre dans lequel les Etats membres doivent permettre aux demandeurs d'asile d'exercer leur droit – et de la convention européenne des droits de l'homme, qui interdit de renvoyer vers leur pays les étrangers qui y sont exposés à la torture ou à des traitements inhumains ou dégradants.
Une nouvelle restriction du regroupement familial serait, elle aussi, contraire aux divers ordres juridiques auxquels la France est soumise : le préambule de 1946 selon lequel "la nation assure à l'individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement" - disposition don,t le Conseil d'Etat et le Conseil constitutiopnnel ont tiré le principe du "droit de mener une vie familiale normale" –, la directive communautaire sur le regroupement familial – qui ne permet pas d'empêcher qu'un étranger régulièrement établi dans un Etat membre soit rejoint par les membres de sa famille – et la convention européenne des droits de l'homme dont l'article 8 proclame le même droit.
Et l'on pourrait continuer ainsi à l'infini. Le discours de Claude Guéant sur l'immigration est donc irresponsable car il ne peut être traduit dans des mesures concrètes, sauf à se mettre en marge de la légalité. Il est inadmissible et irresponsable, mais aussi probablement pénalement punissable, parce qu'il désigne un "bouc émissaire", qu'il tend à dresser l'opinion contre une partie de la population, qu'il a des relents xénophobes. Il risque de faire des dégâts durables pour un hypothétique profit électoral à court terme. Il sollicite ce qu'il y a de pluis vil dans l'être humain. Bref, il rappelled'autres temps que l'on croyait à jamais révolus.
Pour ma part, je propose à Claude Guéant de présenter, avant avril 2012, deux projets de loi qui mettraient en pratique ses idées et résoudraient définitivement le problème auquel il pense que la France est confrontée :
- D'abord, remplacer l'actuel article L. 211-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui donne la liste des documents dont "tout étranger doit être muni pour entrer en France" par la disposition suivante : "Pour entrer en France, toute personne doit être munie d'un document attestant ss nationalité française ou celle d'un Etat membre de l'Union européenne".
- Ensuite, abroger le titre Ier bis du code civil, relatif à la nationalité française, pour le remplacer par les deux articles suivants :
Est français l'enfant dont les quatre grands-parents sont français ;
La nationalité française est attribuée à la naissance aux personnes remplissant la condition posée à l'article précédent ; elle ne s'acquiert pas.
8/12/2011, François Julien-Laferrière
Source : Le Monde