jeudi 4 juillet 2024 06:22

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Les "Intouchables" : au cinéma mais pas à l'Assemblée

L'avènement d'une démocratie réelle est un long processus. Les soubresauts actuels de nos pays voisins enfin affranchis de décennies de régimes brutaux en témoignent. Notre pays, heureuse patrie de la révolution de 1789, s'est peu à peu bâti une sérénité du rentier qui pense avoir tout acquis. Jusqu'à s'y enfermer.

Aujourd'hui, les failles profondes dans l'édifice sont de plus en plus béantes, et la maison commune menace ruine. Malgré tout, la question de la diversité dans notre pays passe toujours pour bien gênante. Elle trouble la quiétude du quotidien des bénéficiaires d'un système excluant. On l'a donc refoulée sur le seul plan rhétorique.

Plus que jamais, on en parle. La diversité à la française compte ses ardents partisans, qui l'invoquent sur tous les tons et avec les formules les plus sophistiquées. Comme pour changer les choses en répétant des mots jusqu'à l'étourdissement. Ou pour faire carrière par ce biais. D'autres y sont hostiles, souvent d'ailleurs à cause d'une sorte de nausée qu'engendrent les surenchères rhétoriques. Entre les deux extrêmes, la plupart de nos concitoyens s'enthousiasment pour ce qu'apportent les personnes handicapées. "Intouchables", ce film inclassable qui s'évade des grilles de l'art cinématographique habituel, ô surprise, a viré à un raz-de-marée. Désormais, de moins en moins de Français acceptent la mise à l'écart sous prétexte de handicap. Et ce n'est qu'un début.

Mais nos élites traînent. Alors qu'en 1981 elles étaient un accélérateur de progrès, trente ans plus tard elles sont devenues le frein du pays. Voire la fourrière. En dépit des promesses, des engagements, des incantations, et même des quelques timides mesures prises, le constat cruel revient toujours et encore à l'identique : la diversité n'existe pas dans la réalité politique de notre pays, et n'y est pas même en devenir.

Le 3 décembre, à l'occasion de la Journée internationale des personnes handicapées, chacun pourra une nouvelle fois constater que des millions de nos concitoyens sont, toujours et encore, avec la même constance historique quelle que soit la majorité politique du moment, purement et simplement rayées de la carte. L'Assemblée nationale, selon les très rares documents existant sur le sujet, serait même l'un des bâtiments les moins accessibles de France. Tout un symbole.

La présence des personnes issues de l'immigration oscille elle aussi autour du zéro absolu. Pire encore : les temps où un Noir était président du Sénat et où Jaurès accueillait un député musulman à l'Assemblée, le Dr Grenier, vêtu d'une djellaba, semblent tellement lointains, ces situations tellement inenvisageables aujourd'hui, qu'on ne peut que contempler avec un frisson d'effroi la pente descendante sur laquelle dérape inconsciemment notre pays.

Et ce jusqu'à ce qui est peut-être la forme la plus avancée de la diversité, à savoir la parité homme-femme. Celle-ci est ancrée dans la constitution, soutenue depuis si longtemps par la quasi-unanimité des responsables, et passe pour une priorité absolue. Et malgré tout le nombre de femmes élues a baissé aux dernières élections sénatoriales.

Face à ces lourds constats qu'aucun maquillage ne saurait camoufler, il est nécessaire de se rendre compte qu'aucune des stratégies usitées jusqu'ici n'a été efficace. Ni les déclarations larmoyantes de bonnes intentions. Ni l'invocation des grands principes, ni les exhortations laissant miroiter un changement dans un proche avenir. Ni les pressions sur les états-majors politiques, qui dégénèrent en un affrontement entre groupes de pression et débouchent non sur la diversité, mais sur exaspération, impuissance et révélation du caractère profondément communautariste de notre pays. Et surtout pas le pervers raisonnement qui postule la nature équitable de notre système politique pour invalider toutes les critiques.

Et ce alors même que nos voisins, y compris ceux que nous regardons parfois avec condescendance, s'engagent plus résolument que jamais dans l'avenir. L'Angleterre, l'Allemagne où les ministres en situation de handicap ne sont pas chose rare, les Etats-Unis où les députés noirs se comptent par dizaines et les maires noirs par centaines, jusqu'à la Pologne qui vient d'élire un Noir dans son parlement. Jour après jour, les acquis de 1789 de notre pays se flétrissent et rejoignent les parchemins d'une l'histoire révolue.

C'est pourquoi je suis convaincu que seul un appel direct aux citoyens peut infléchir la course à l'exclusion de masse. Que seule l'implication directe dans une démocratie directe des citoyens peut faire autorité, éliminer les détestables pratiques de cooptation au sein des partis et clubs, écarter enfin les hommes politiques élus toute leur vie, par métier voire par statut personnel, faire en sorte que toute mesure publique, et non seulement tel ou tel plan spécialisé, soit à l'échelle de l'universalité des citoyens.

Quant à moi, en tant que citoyen, militant associatif, adjoint au maire de Paris, et si mon parti m'en donne la possibilité, je serai disponible pour porter la voix des personnes handicapées à l'Assemblée nationale.

Pour que, comme en 1789, ce soit la lutte par et pour la dignité des opprimés qui porte à tous la liberté. Qui du tripatouillage électoral fasse naître l'authentique métissage. Qui enfin donne corps à la véritable identité de la France, que Fernand Braudel nommait diversité.

13/12/2011, Hamou Bouakkaz

Source : Le Monde

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