mercredi 3 juillet 2024 08:30

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Le nouveau visage de la France, terre d'immigration

A l'heure de la controverse sur l'identité nationale, beaucoup feignent d'oublier que la France, depuis près de 150 ans, est une terre d'immigration. Au XIXe siècle, alors que ses voisins envoyaient des millions d'émigrants vers l'Amérique, la France accueillait déjà des travailleurs venus de toute l'Europe et cette politique s'est poursuivie tout au long du XXe siècle. Ce brassage qui a transformé en profondeur le visage de la France a fait de l'Hexagone l'un des pays les plus multiculturels du monde. La France, résume l'historien Gérard Noiriel, est ainsi devenue "l'Amérique de l'Europe".

Cette longue histoire a diversifié en profondeur l'origine des Français : selon les démographes Catherine Borrel et Patrick Simon, un quart des enfants de moins de 18 ans qui vivent sur le territoire français ont au moins un grand-parent maternel né à l'étranger. "La France, à la différence de ses voisins, est un vieux pays d'immigration, explique le démographe François Héran dans Le Temps des immigrés (Seuil, 2007). A de rares interruptions près, comme la crise des années 1930 ou le choc de 1974, elle accueille des migrants depuis le milieu du XIXe siècle."

En 1891, la France comptait ainsi plus d'un million d'étrangers venus de Belgique, d'Italie, d'Allemagne, d'Espagne ou de Suisse. "Ils seront rejoints dans l'entre-deux-guerres par les Polonais, les Russes et les Arméniens, écrivent Catherine Borrel et Patrick Simon dans Histoires de familles, histoires familiales (INED, 2005). La reconstruction et le décollage économique des années 1950 et 1960 verront les flux d'émigration s'intensifier." La France des "trente glorieuses" accueille alors des Algériens, des Portugais, des Marocains et des Tunisiens.

Au début des années 1970, alors que la crise pétrolière se profile, l'immigration de travail qui avait nourri les flux migratoires de l'après-guerre est rigoureusement encadrée : suspension de l'immigration des salariés, instauration d'une politique de retours volontaires (le "million Stoleru"), expulsion de ceux que l'on n'appelle pas encore les sans-papiers.

Sous l'effet de ces restrictions, les flux migratoires se stabilisent : la France compte 4 millions d'étrangers en 1982, 4,1 millions en 1990, 4,3 millions en 1999, 5 millions en 2006, soit entre 7,4 % et 8 % de la population française. Un chiffre étonnamment stable : contrairement à ce que l'on croit souvent, la proportion d'immigrés ne varie guère depuis le début des années 1980. Associée à un taux de fécondité record - le plus élevé de l'Europe des Vingt-Sept -, cette stabilisation des flux migratoires fait aujourd'hui de la France une exception par rapport à ses voisins. Selon Eurostat, l'immigration contribue à hauteur de 20 % à la croissance de la population française, contre 60 % en Irlande, 70 % au Danemark, 75 % en Belgique et... 86 % en Espagne ! "Dans l'Europe des Vingt-Sept, la croissance démographique est principalement due à l'immigration, sauf en France, aux Pays-Bas et en Grande-Bretagne", constate Giampaolo Lanzieri dans une note d'Eurostat.

Si l'immigration s'est stabilisée, son visage, en revanche, s'est transformé. Aux jeunes célibataires venus du Maghreb pour travailler en usine dans les années 1970 se sont substitués peu à peu des femmes et des enfants accueillis dans le cadre du regroupement familial. "Au fil du temps, les raisons de migration ont changé et, depuis 1974, elles ont essentiellement trait à des motifs familiaux", soulignent Olivier Monso et François Gleizes, dans une étude publiée en novembre par l'Insee. Les pays d'origine, eux aussi, se modifient : les immigrés viennent de terres de plus en plus lointaines, comme l'Afrique subsaharienne et l'Asie du Sud-Est.

Cette longue histoire de l'immigration française a donné naissance à un phénomène que la plupart de ses voisins ignorent : l'émergence de deuxièmes, voire de troisièmes générations d'immigrés. "Le reste de l'Europe, à l'exception de la Suisse et, dans une moindre mesure, de l'Allemagne fédérale, ne connaît pas au même degré ce phénomène, écrit François Héran dans Le Temps des immigrés. L'Angleterre a longtemps pratiqué des échanges intenses avec les pays du Commonwealth peu propres à stabiliser les secondes générations. Au sud de l'Europe, l'immigration est trop récente pour que le problème se pose."

Au fil des décennies, ces deuxièmes, voire troisièmes générations ont façonné en profondeur le visage de l'Hexagone, laissant croire à beaucoup de Français que l'immigration ne cessait de croître. Selon les travaux de Catherine Borrel et Patrick Simon, la France comptait ainsi, en 1999, 4,5 millions de descendants d'immigrés : la deuxième génération représentait alors 7,7 % de la population totale, soit presque autant que la première génération (7,4 %). Au total, sur les 58 millions d'habitants que comptait la France en 1999, près de 9 millions étaient soit des immigrés, soit des descendants d'immigrés.

L'origine de cette deuxième génération reflète l'histoire des vagues migratoires françaises : la deuxième génération italienne est de loin la plus nombreuse (22,6 %), devant l'algérienne (14,1 %), l'espagnole (12,9 %), la portugaise (10,4 %) et la marocaine (9,1 %). "On voit tout juste apparaître les deuxièmes générations d'Afrique subsaharienne et turque, qui, dans les années à venir, occuperont une place plus importante", soulignent Catherine Borrel et Patrick Simon. En 1999, elles ne représentaient respectivement que 5,6 % et 3,4 % des deuxièmes générations.

La singularité de la France réside dans cette longue histoire, qui a fait du brassage l'une des constantes de notre politique démographique : au fil des décennies, elle a créé des deuxièmes, des troisièmes, voire des quatrièmes générations qui ont diversifié l'origine des Français. "Près d'un Français sur quatre a au moins un grand-parent immigré et l'on arriverait sans peine à un Français sur trois avec une génération de plus", estime ainsi François Héran. Selon l'ancien directeur de l'Institut national d'études démographiques (INED), l'immigration, sans être jamais massive comme elle l'est en Espagne depuis quelques années, a constitué une "infusion durable".

Source : Le Monde

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