L'ouvrage "We are all Moors" (Nous sommes tous des Maures), de l'universitaire marocain Anouar Majid, représente une relecture de l'histoire de l'expulsion des Morisques d'Espagne au 17ème siècle, tout en reliant cet évènement historique tragique et lourd de conséquences, au contexte actuel des minorités au sein des sociétés occidentales.
Dans ce livre, présenté jeudi soir à Washington en présence d'une pléiade d'intellectuels et d'universitaires arabes et américains ainsi que des ambassadeurs du Maroc et d'Espagne, l'auteur soutient que l'actuel débat acrimonieux sur l'immigration dans le monde occidental n'est en fait que la transposition du paradigme né du traitement auquel ont été assujettis les Maures et les Juifs après la chute de Grenade en 1492.
En 1609, le roi Philip III avait ordonné l'expulsion d'Espagne de tous les Morisques (Espagnols de descendance musulmane), dans une tentative de fonder un Etat-Nation "homogène" et éliminer les derniers vestiges de l'Islam de la péninsule ibérique.
"Il n'est pas possible de comprendre la question des minorités dans le monde contemporain, sans comprendre ce qui est arrivé aux Musulmans en Espagne durant cette période de l'histoire", explique dans un entretien à la MAP, Anouar Majid, dont la publication de son ouvrage coïncide avec la commémoration du quatrième centenaire de l'expulsion des Morisques de la péninsule ibérique.
Selon lui, ce n'est qu'en reconnaissant les liens entre les craintes actuelles relatives à l'immigration et à l'Islam et les croisades médiévales à l'encontre des Morisques, que l'on peut "rectifier des siècles de répression, tirer les leçons des drames du passé et trouver des attaches communes" en cette ère de mondialisation.
Car, ajoute-t-il, les Maures étaient devenus à cette époque un "élément de sacrifice" pour la création de l'Etat-Nation espagnol.
"Les Musulmans étaient au pouvoir durant une longue période en Espagne, mais avec la chute de Grenade en 1492, ils sont devenus minoritaires, et c'est cette stigmatisation en tant que minorité qui a permis l'émergence d'une identité espagnole moderne, fondée sur une communauté de religion, de langue et de race", relève encore Anouar Majid, par ailleurs fondateur et président du Center for Global Humanities à l'Université de la Nouvelle Angleterre, au Maine (Etats-Unis).
Cette situation, explique-t-il, est devenu "un paradigme pour l'émergence des Etats-Nations modernes, chacun avec ses propres minorités, sa propre langue et religion", relevant que les Maures sont devenus, de ce fait, "l'archétype des minorités dans le monde".
Abordant par ailleurs l'intitulé du livre "Nous sommes tous des Maures", Anouar Majid relève qu'il s'agit d'une manière de dire que "nous sommes tous des étrangers, tous différents", et que par conséquent il n'y a pas lieu de stigmatiser des minorités en raison de leurs différences culturelles, ethniques ou religieuses.
Le processus d'expulsion de près de 300.000 Maures d'Espagne, avait débuté en 1609, lorsque le roi Felipe III avait signé, le 9 avril de cette année à l'instigation du Duc de Lerma, le décret condamnant à l'exil les descendants des Musulmans d'Andalousie. Il avait pris fin en 1614 avec le départ des derniers Morisques du royaume de Castille. Mais le départ d'Espagne de la minorité Andalouse de confession musulmane avait commencé bien avant, après la chute de Grenade.
L'expulsion des Musulmans d'Andalousie deviendra systématique et sera ordonnée par la reine Isabelle La Catholique et le roi Ferdinand, avec la signature le 14 février 1502, d'un décret ordonnant l'expulsion des Musulmans de Grenade. Deux années plus tard, Isabelle allait promulguer un autre décret daté du 12 octobre 1504 et stipulant que la Guerre de Reconquête (Reconquista) n'avait pas pris fin avec l'occupation de Grenade et qu'elle se poursuivra par l'expulsion de tous les Musulmans.
Ce drame est considéré par les historiens comme l'un des pires "nettoyages ethniques" que l'Europe ait connu avant le 20ème siècle, conclut Anouar Majid.*
Source : MAP