jeudi 4 juillet 2024 06:24

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Les immigrés sont-ils vraiment communautaristes ?

Dans la chronique précédente, il a été montré que «l’immigration massive» relève davantage du fantasme que d’études objectives. Nous avons également expliqué cette croyance par le fait que les populations immigrées sont localement plus concentrées que le reste de la population. D’où la question du communautarisme qui constitue l’idée reçue de notre chronique : «Les immigrés et leur descendants sont-ils communautaristes ?». Qu’en disent les sociologues ?

La ségrégation urbaine conjugue ségrégations sociale et ethnique

La relégation spatiale se caractérise par la problématique des «banlieues», des «quartiers défavorisées» ou des «quartiers de relégations» qui cumulent plusieurs handicaps économiques et socioculturels (pauvreté, précarité, déscolarisation, présence d’immigrés, etc.). Ainsi selon Eric Maurin, dans  son ouvrage « le ghetto français. Enquête sur le séparatisme social » publié en 2004, en faisant de la forte concentration locale de la population immigrée un indicateur de pauvreté,  ce sont les individus à niveaux culturels similaires, ayant les mêmes titres scolaires et occupant les mêmes statuts sociaux, qui sont regroupés, créant par là des enclaves caractérisées par la présence de personnes faiblement dotées en capital culturel.

Cependant, ce constat reste insuffisant si l’on n’analyse pas les processus qui conduisent à cette relégation. Car le «ghetto» français ne se limite pas aux «banlieues défavorisées», il s’opère surtout par le haut («ghettoïsation par le haut» est une expression d’Eric Maurin) nous autorisant donc à parler d’«entre-soi contraint», puisque les classes moyennes opèrent des stratégies d’évitement de ces populations.

Donzelot (2004) pense qu’il est aussi question de «péri-urbanisation» résultant de la volonté des classes moyennes de fuir les quartiers de relégation sans pour autant pouvoir prétendre aux quartiers les plus bourgeois. Ce phénomène de mise à l’écart s’opère cette fois-ci de la périphérie vers le centre. Ainsi, les classes moyennes fuient ces populations indésirables, recherchant un entre-soi, ou communautarisme devrait-on dire. Ce phénomène est d’autant plus marqué que les populations reléguées expriment pourtant un désir de mobilité géographique.

Les résidents des banlieues expriment un désir de mobilité géographique

On pourrait arguer que ces immigrés et leurs descendants choisissent pleinement de s’installer dans ces ZUS. Mais à la lumière des études sociologiques, on constate que ces populations expriment une forte volonté de mobilité résidentielle. En effet, dans l’étude de Gérard Bouvier, «plus de 75 % des personnes ni immigrées ni descendantes d’immigrés se déclarent très satisfaites ou satisfaites de leur logement». «Cette part se réduit à 60 % pour les descendants d’immigrés d’origine extra-européenne et même 40 % pour les immigrés de ces mêmes origines. Les immigrés ou descendants d’immigrés expriment de fortes volontés de mobilité résidentielle. Celles-ci peuvent bien sûr être motivées par les conditions de logement, mais plus généralement par l’environnement du logement» (p.22).

Bien d’autres études empiriques soulignent ce même constat pour les étrangers cette fois-ci, mais nous ne citerons que celle de Pan Ké Shon dans son article «ségrégation ethnique et ségrégation sociale en quartiers sensibles, l’apport des mobilités résidentielles», 2009, RFS : «Ce n’est pas l’attraction communautaire qui explique la ségrégation des étrangers puisque ceux-ci, lorsqu’ils le peuvent, quittent les zones défavorisées dans lesquelles ils vivaient», mais éprouvent beaucoup plus de difficultés à le faire que d’autres (p.468). Mais alors, que fait la politique de la ville ?

La politique de la ville consolide et entérine la ségrégation spatiale

On pourrait nous rétorquer qu’il existe des politiques de la ville qui mettent en œuvre un certain nombre de dispositifs pour favoriser la «mixité sociale», mais à y regarder de plus près, on se rend vite compte qu’elles sont inefficaces. En effet, selon J. Donzelot, dans son article «les nouvelles inégalités et la fragmentation territoriale», Esprit, 2003, aux Etats-Unis c’est la discrimination positive qui prime en agissant sur les personnes et beaucoup moins sur les lieux pour sortir les individus défavorisés des ghettos. Ainsi, ces individus deviennent acteurs du changement de leur propre situation. Alors qu’en France, poursuit Donzelot, le choix dominant est celui de l’action sur les lieux comme étant une fin en soi. Les travaux qui soulignent cette anomalie structurelle de l’action publique sont nombreux.

Ainsi selon Sylvie Tissot et Franck Poupeau, dans leur article «La spatialisation des problèmes sociaux», ARSS, 2005 : les politiques de logement et les politiques urbaines sont construites sur un certain reniement des ressorts structurels de la pauvreté. C’est le cas par exemple des politiques publiques lorsqu’elles régissent la pauvreté à travers des problématiques  de «mixité sociale», de «ghettos» et de «quartiers sensibles» entérinant les mécanismes de domination économique, sociale et raciste (la ségrégation ethnique est plus forte que la ségrégation sociale).  

Par exemple, comme le dit si bien le sociologue et spécialiste de la ségrégation spatiale, Edmond Préteceille, quand bien même une politique publique de transport faciliterait l’accès au Quartier Latin par voie de RER, cela ne permettra pas aux jeunes de banlieues d’entrer au Lycée Louis-Le-Grand… D’où notre heureuse formule de «double communautarisme par le haut», à savoir le communautarisme des classes moyennes et son institutionnalisation par les pouvoirs publics.

7, 5, 2015, Mouhib Jaroui

Source : zamanfrance

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