Un son de clairon résonne à travers les haut-parleurs pour réveiller les marins. Mais quelque minutes plus tard, un message d'information: "La mer est agitée. Le vent souffle à 30 noeuds. Au vu de cette météo, il est peu probable qu'aujourd'hui, nous soyons +taskés+".
"Taskés", dans le jargon militaire, c'est avoir une "mission spécifique". Et depuis le 27 avril, la mission spécifique des 90 hommes de l'équipage du patrouilleur français "Commandant Birot", c'est de porter secours aux migrants qui tentent de traverser la Méditerranée au départ des côtes nord-africaines.
Depuis le début de l'année, plus de 34.000 clandestins ont ainsi débarqué en Italie, mais quelque 1.770 hommes, femmes et enfants sont morts ou disparus, selon l'Organisation internationale des migrations (OIM).
Un défi sur lequel le conseil de sécurité de l'ONU doit se pencher ce lundi à New York.
Mais ces jours-ci, la mer entre la Libye et la Sicile formait des creux de deux à trois mètres.
"Pour contourner le coup de vent, on va remonter les côtes tunisiennes. Avec un peu de chance, on ira recueillir des naufragés partis depuis la Tunisie. Mais les chances sont très minimes, ce n'est pas une zone de grands départs, contrairement à la Libye", où le chaos laisse les mains libres aux passeurs, explique Romaric, le chef de quart.
Cinq heures d'efforts
Sa "chance", le "Commandant Birot" l'a eue le 2 mai. Ce jour-là, à 10H00 du matin, le patrouilleur en haute mer engagé dans l'opération européenne de surveillance et de secours Triton a reçu un appel du centre de commandement basé à Rome pour aller prêter main-forte à des bateaux italiens auprès de plusieurs embarcations.
"On est arrivés sur une première embarcation de type pneumatique avec 75 naufragés à bord", se souvient Benoît, chef des machines. Le canot prenait l'eau et les migrants écopaient avec des moyens de fortune. Il leur restait assez de nourriture pour tenir encore une journée, mais plus d'eau, et pas assez d'essence pour aller jusqu'à la terre ferme.
A 90 km des côtes libyennes, il a fallu cinq heures d'efforts et une vingtaine de rotations entre les embarcations et le patrouilleur pour embarquer 216 migrants, venus d'Afrique sub-saharienne pour la plupart, mais aussi du Proche-Orient et même du Népal et du Pakistan.
Heureusement, le temps était beau et la mer calme. "Un cas d'école, commente Pierre-Antoine, responsable des opérations à bord. Mais imaginez la même scène de nuit et avec une mer formée..."
Regroupés à l'arrière du patrouilleur, les migrants ont été débarqués 20 heures plus tard à Crotone (Calabre), dans le sud de l'Italie. Ce jour-là, près de 3.500 migrants au total ont été secourus dans la zone.
Depuis que la patrouilleur a été mandaté fin avril sur cette mission, "il a fallu expliquer aux hommes qu'on pouvait se retrouver face à des corps en mer, et qu'un corps, ça gonfle, ça se décompose, raconte le lieutenant de vaisseau Pierre-Antoine. On leur a donc conseillé de placer une taie d'oreiller sur la tête du mort".
'Un sentiment d'utilité'
Autre préoccupation: la santé des migrants. La procédure prévoit de prendre leur température pour repérer d'éventuels cas d'Ebola, même s'ils sont peu probables vu la durée des périples des migrants pour arriver en Libye.
C'est leur état général qui inquiète le plus. "Les gens se déshydratent beaucoup plus vite parce qu'ils vont avoir vomi à cause du mal de mer et beaucoup transpiré à cause de la chaleur, explique Morgan, médecin des armées. Rapidement, ça devient la catastrophe".
Le patrouilleur français a également dû re-configurer un peu sa logistique, et embarquer lors d'une escale en Italie du matériel médical acheminé de France, ainsi qu'une infirmière capable de fouiller et d'examiner les femmes secourues par cet équipage uniquement masculin.
Sur le pont, les artilleurs sont également mobilisés. Depuis leurs postes de tirs, ils se tiennent prêts à intervenir pour détruire les embarcations une fois vides.
Même si les embarcations utilisées dans ce trafic sont toujours très décaties, par deux fois déjà cette année, des passeurs armés sont venus récupérer un bateau vide.
"Il y a des moteurs assez chers dessus, explique Jean-Pierre. On peut utiliser le canon de 20 mm qu'on a à bord, on peut les plastiquer ou bien les crever comme on a fait lors de notre dernière opération".
Pour les marins du "Commandant Birot", cette nouvelle mission, aux accents humanitaires, a de quoi séduire.
"L'équipage réagit très bien, résume Thomas Vuong, le commandant du navire. Parce qu'il s'agit de sauver des vies. Il y a un sentiment d'utilité et de solidarité humaine".
09 mai 2015,Guillaume BONNET
Source : AFP