Deux jeunes Bangladais jetés à la mer au large de l'Indonésie ont passé 36 heures dans l'eau pour atteindre le rivage et dire la terrifiante odyssée des migrants livrés aux passeurs dans cette région du monde.
Fuyant la misère dans leur pays parmi les plus pauvres de la planète, Habiburrahman et Islam se sont embarqués sur un bateau de trafiquants dans l'espoir de gagner la Malaisie, pays relativement prospère d'Asie du Sud-Est à majorité musulmane.
Ils ont finalement rejoint des centaines de migrants et réfugiés entassés dans un campement de fortune à Lhoksukon, dans la province indonésienne d'Aceh, à la pointe nord de l'île de Sumatra.
Combien de temps passeront-ils ainsi, désoeuvrés, sans argent ni avenir? Ni la Malaisie, ni l'Indonésie ne veulent d'eux.
Ils font partie des 2.000 migrants, parmi lesquels de nombreux Rohingyas, minorité musulmane considérée comme l'une des plus persécutées du monde par l'ONU, arrivés ces derniers jours sur les côtes indonésiennes et malaisiennes.
Abandonnés par leurs passeurs, les uns ont nagé jusqu'à la rive comme Islam et Habiburrahman, d'autres ont été secourus par la marine ou des pêcheurs indonésiens, d'autres encore, des centaines selon les organisations internationales, dériveraient toujours au large.
Islam et Habiburrahman, tous deux âgés de 30 ans, ont grandi ensemble à Pabna, dans le nord-ouest du Bangladesh, non loin de la frontière indienne, avant de se séparer pour gagner leur vie.
Voici quelques mois, Islam a appelé son meilleur ami en lui disant gagner l'équivalent de 90 dollars par mois. Habiburrahman, père de deux enfants, s'est alors souvenu d'une offre alléchante pour s'employer dans une plantation de caoutchouc en Malaisie contre un salaire sept fois plus élevé.
Un intermédiaire propose d'organiser le voyage. Il réclame 3.100 dollars par personne. Leurs familles réunissent la somme et les deux amis se donnent rendez-vous début avril à Chittagong, le grand port du sud.
Là, avec une dizaine d'autres candidats à l'exil, ils prennent place à bord d'un petit bateau qui les emmène au large où les attend un autre bateau, plus gros. Ils restent une semaine à l'ancre, le temps qu'embarquent environ 300 personnes.
Un sarong en guise de bouée
Une fois en haute mer, Habiburrahman pensait qu'ils atteindraient les côtes malaisiennes en cinq jours. Las, les jours deviennent des semaines. Un troisième navire les prend à bord. Des centaines de Rohingyas y séjournent déjà, parfois depuis deux mois.
Direction le détroit de Malacca, entre Sumatra et la péninsule malaisienne.
Les conditions de voyage sont précaires, l'eau et la nourriture rationnées, Bangladais et Rohingyas se toisent.
Le détroit de Malacca est en vue samedi 9 mai. Le capitaine abandonne les passagers à leur sort et les Rohingyas prennent le contrôle du navire. A les entendre, la situation d'Islam et Habiburrahman ainsi que des autres Bangladais devient intenable.
Habiburrahman, dont la lèvre inférieure est gonflée, raconte avoir été rossé et précipité par-dessus bord pour avoir pris des vivres réservées aux Rohingyas.
Malgré la fatigue et la faim, malgré les risques, Islam se jette à l'eau lui aussi.
"Nous avons gonflé mon sarong comme un ballon. Et nous nous y sommes cramponnés en nageant, sans savoir vraiment dans quelle direction" se trouvait la terre ferme, raconte Habiburrahman.
Buvant de l'eau de mer, ils dérivent jusqu'au nadir, guettant le falot d'un pêcheur dans l'obscurité. Mais en vain. A l'approche de la seconde nuit, l'espoir renaît. "Nous avons vu une lumière", dit Islam. Elle provient d'une tour: la terre ferme, enfin.
D'après eux, 900 personnes se trouvent toujours à bord du bateau sur lequel ils ont voyagé, et non pas 400 comme le pensaient les autorités indonésiennes. Nul ne sait ce qu'il est devenu depuis son remorquage cette semaine hors des eaux territoriales indonésiennes.
13 mai 2015,Nurdin HASAN
Source : AFP