La question migratoire, notamment la prétendue gestion des flux, est en soi le type même du sujet piégé. L'exode, la migration, l'exil touchent des cordes sensibles.
Ancestrales. Bibliques. Et dans le même temps, ces flux posent des problèmes politiques et économiques souvent inextricables.
Ces cordes sont sensibles pour nos consciences, si l'on se met, ne serait-ce qu'une seconde, à la place du jeune Érythréen ou Syrien qui s'est précipité sur un rafiot pour fuir la guerre. Sensibles pour nos dispositifs administratifs, lorsqu'il s'agit de gérer et de financer l'accueil de milliers de migrants. Sensibles, politiquement, pour tout dirigeant qui ne veut sombrer ni dans l'angélisme ni dans le cynisme. Il y en a.
Faux-semblants et postures
En matière de flux migratoire, les faux-semblants et les postures abondent. Par exemple, on ne parle que des flux visibles en Méditerranée, souvent dramatiques. Rien sur les flux silencieux, par voie de terre, qui concernent pourtant la majorité des migrants.
Quant aux postures, elles peuvent être extrêmes. Comme celles des autorités indonésiennes et malaisiennes qui ont décidé de repousser vers le large les boat people. Ce qui plaît, apparemment, à la ministre britannique de l'Intérieur qui suggère la même chose en Méditerranée.
Et puis on a, à l'autre extrémité, les propos de la Haute représentante de l'Union européenne, Federica Mogherini, affirmant qu'aucun migrant intercepté en mer ne sera renvoyé contre son gré. Ce qui est inexact, puisque les raccompagnements existent. Ce qui est politiquement contreproductif puisque cela conforte ceux qui dénoncent la politique de l'appel d'air dictée par les bons sentiments.
Une action humanitaire, sécuritaire et diplomatique
En fait, ni la compassion angélique ni les méthodes expéditives ne sont adaptées au traitement d'un phénomène d'une telle ampleur. Les mesures et les projets annoncés hier par la Commission européenne ont le mérite de poser lucidement les termes complexes du problème. En discernant plusieurs niveaux d'intervention.
L'urgence humanitaire, d'abord, rendue insoutenable par les naufrages. Il est normal, juste et souhaitable de sauver les naufragés. Notre état de droit et nos valeurs, à moins de les renier, l'exigent. Pour ce faire, l'Italie, Malte et la Grèce ne peuvent être laissées seules. D'où l'idée proposée par la Commission de répartir les réfugiés entre les pays. Même si Londres et Budapest y sont hostiles. Sans solidarité, Rome et Athènes continueront à laisser partir, sans le dire, les arrivants vers le Nord.
Parallèlement, l'agenda européen propose d'éviter, à la source, les embarquements. C'est le volet sécuritaire (et militaire ?). Traquer les passeurs. Ce sera aux ministres des Affaires étrangères d'en discuter les modalités lundi, stratégiquement périlleuses sur le théâtre libyen. À nos ministres, pas à « l'Europe » en général, comme les démagogues veulent le faire croire.
Reste enfin le lourd. Le sous-développement, les guerres en Syrie, en Érythrée, la Libye. Dans les années 1990, la peur de l'invasion des Albanais effrayait l'Italie. L'Adriatique regorgeait d'embarcations. Aujourd'hui, Tirana est en plein boom, les Albanais sont rentrés et les Italiens s'y précipitent pour faire des affaires. Il est illusoire d'arrêter les flux en n'adoptant qu'une position défensive. Le monde bouge, il faut le guider, pas le stopper. Autrement dit le pacifier et le développer.
14/5/2015, Laurent Marchand
Source : ouest-france.fr