Dans la guerre contre les passeurs de migrants en Méditerranée, le procureur de Catane, en Sicile, a été un pionnier et a marqué des points contre ce trafic d'êtres humains, même s'il a parfois le sentiment de labourer la mer.
A ce poste depuis trois ans et demi, Giovanni Salvi, 63 ans, a arrêté des dizaines de "scafisti" (passeurs en italien), dont Mohammed Ali Malek, un Tunisien accusé d'être le principal responsable de la pire tragédie de migrants en Méditerranée.
"L'enquête est terminée" et si un procès doit être décidé, "il aura lieu très vite", assure le procureur de Catane dans un entretien avec l'AFP.
Mohamek Ali Malek, 27 ans, est soupçonné d'avoir été le capitaine du chalutier dans le naufrage duquel des centaines de migrants, partis de Libye avec l'espoir d'un avenir meilleur en Europe, ont disparu dans la nuit du 18 au 19 avril.
"Nous ne pourrons jamais donner le nombre exact de victimes, mais j'ai peur que nous puissions confirmer un chiffre proche de 800", explique le procureur, après avoir vu les images de l'intérieur de l'épave retrouvée par la marine italienne à 370 mètres de fond.
Au dire des survivants, cela aurait pu être encore pire: "Ils devaient être plus de 1.200 à embarquer. Mais à 800, bien qu'ils soient entassés à peu près partout, plus personne ne pouvait entrer", raconte-t-il.
'Esclavagistes' des temps modernes
Bien que le naufrage ait eu lieu dans les eaux internationales, la justice italienne est compétente, grâce en partie au travail mené par M. Salvi.
Son action a été validée à plusieurs reprises par la Cour de cassation italienne et a permis de poursuivre ceux que le chef du gouvernement italien Matteo Renzi a qualifiés d'"esclavagistes" des temps modernes.
C'est le troisième naufrage grave sur lequel le parquet de Catane enquête. Pour les deux premiers, qui ont également fait des centaines de victimes l'an dernier, la procédure avait toutefois été plus simple.
Les deux bateaux étaient en effet partis d'Egypte, où les Italiens ont pu compter sur l'aide des autorités. "Trois passeurs que nous considérons comme les chefs de l'organisation criminelle à l'origine de ces naufrages ont été arrêtés", précise M. Salvi.
La tâche est plus ardue en Libye car "il n'existe pas d'autorité avec laquelle collaborer", regrette-t-il.
En outre, les réseaux y sont bien organisés, sans qu'on puisse toutefois cerner une organisation unique pour ces trafics, ni mettre en cause la mafia que cet expert de Cosa Nostra, la mafia sicilienne, connaît bien.
Certains passeurs "gérant" les flux de Syriens, d'Erythréens ou de Somaliens fonctionnent quasiment comme des agences de voyages, offrant des "packages" porte à porte. Mais la plupart des migrants sont si anxieux d'échapper à la guerre ou à la misère qu'ils deviennent des proies faciles pour des trafiquants sans scrupules.
L'an dernier, l'un de ces réseaux avait ainsi séquestré à Catane une dizaine de jeunes pour s'assurer que leurs proches pairaient leur passage.
Au terme d'une carrière qui l'a souvent mis aux prises avec le crime organisé, Giovanni Salvi pourrait prochainement diriger le parquet de Rome. En attendant cette consécration, il ne baisse pas les bras et espère que le plan européen élaboré cette semaine à Bruxelles permettra de limiter le nombre de clandestins.
Beaucoup de migrants débarquant en Italie cherchent à tout prix à éviter d'y être identifiés afin de gagner illégalement l'Allemagne, la France ou la Suède, alors que la loi prévoit qu'ils ne peuvent demander l'asile que dans le premier pays de l'UE où ils posent le pied.
Cette situation "est très dangereuse pour l'Europe car elle rend clandestins des gens qui en réalité pourraient rester dans le circuit légal", déplore M. Salvi.
Quant au projet de destruction, dans les ports libyens, des embarcations où les passeurs entassent les migrants, M. Salvi se montre plus sceptique.
"Ce n'est pas un élément destiné à résoudre le problème", affirme-t-il estimant que détruire les bateaux des pêcheurs libyens risque de dresser la population contre les Européens.
"Même la mort n'arrête pas les migrants qui fuient la guerre ou les persécutions" et "il est difficile de croire qu'en n'aidant pas les migrants, on obtiendra des résultats", souligne en outre le procureur de Catane.
15 mai 2015,Olivier BAUBE
Source : AFP