Depuis six mois, un camp de migrants s’est installé dans le 10e arrondissement de la capitale.
Les 200 personnes qui y survivent cherchent à rallier d’autres pays européens, notamment le Royaume-Uni.
Une situation de transit qui ne facilite pas le travail des associations.
Avant la découverte des tentes alignées, avant de croiser le regard hagard des personnes entassées là, c’est le bruit qui d’emblée frappe le visiteur. Celui, assourdissant, du métro aérien qui va et vient. Le hurlement des rames sur les rails vrille les tympans des nombreux hommes et quelques femmes qui campent juste au-dessous de la ligne 2, boulevard de la Chapelle, dans le 10e arrondissement de Paris. Depuis décembre, ils sont environ 200 immigrés à stationner dans ce qui est devenu une reproduction miniature de l’ancien camp de Sangatte près de Calais. Près de la gare d’Austerlitz, 300 autres migrants offrent le même tableau.
La plupart de ceux qui survivent sur ce terre-plein au milieu des voitures viennent du Soudan ou d’Érythrée. Fuyant la guerre et la misère, ils ont traversé la Méditerranée sur des embarcations de fortune. Pour la majorité d’entre eux, Paris n’est qu’une étape avant la Belgique, l’Allemagne ou le Royaume-Uni. Certains ont même déjà tenté la traversée de la Manche, en vain, et préfèrent attendre ici de retrouver un passeur et suffisamment de courage pour réessayer. Malgré le froid qui traverse les tentes et les os, l’odeur d’urine, les déchets et la peur de se faire dépouiller, les conditions de vie sont moins misérables sous un pont de métro que dans la « jungle » calaisienne.
Passer la Manche tout prix
Omar est arrivé il y a trois jours. Assis sur un muret qui surplombe la voie ferrée, les yeux perdus dans le vague, ce Soudanais de 17 ans n’attend qu’une chose : passer la Manche. « L’Angleterre, c’est mieux que la France », justifie-t-il dans un anglais hésitant. Qu’y a-t-il de si bien là-bas ? « Mes cousins et le club de Chelsea », dont il est un fervent supporter. L’esquisse d’un avenir. En attendant de trouver un plan pour grimper clandestinement dans un camion, le jeune homme regarde passer le temps et les trains.
Le travail des associations est rendu d’autant plus difficile que La Chapelle n’est qu’un lieu de transit. « Chaque fois que je viens, je ne revois jamais les mêmes personnes », explique Rano Sharafetdinova, en charge du logement à France Terre d’asile (FTA). Ce n’est pourtant pas faute d’essayer.
Le camp, elle s’y rend chaque semaine depuis qu’au début de l’année l’association a commencé à faire des maraudes et informer les migrants des démarches à effectuer pour déposer une demande d’asile. Avec un succès mitigé. « Ils nous écoutent mais cela ne va pas plus loin. Même lorsque nous prenons pour eux des rendez-vous à la préfecture, ils ne viennent pas toujours. » Les propositions de logement pour quelques nuits aux plus fragiles, notamment les mères accompagnées de jeunes enfants, rencontrent peu d’écho.
Une évacuation des campements envisagée
Jamila, qui se terre dans une tente bleue avec son fils de six mois, pourrait pourtant trouver une solution temporaire. Érythréenne, elle a 18 ans et de grands yeux noirs et fuyants. Coincée entre un paquet de couches et une pile de couvertures, elle explique avoir traversé la Méditerranée en Zodiac depuis la Libye. Elle veut prendre le train pour rejoindre son frère en Allemagne dès le lendemain. Et malgré la fraîcheur des nuits pluvieuses de mai, elle refuse les propositions de Rano. Être entourée de gens qui parlent sa langue réchauffe plus sûrement que quatre murs et un toit.
Au cabinet de Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur, on explique envisager « une solution adaptée, avec un guichet unique pour renforcer l’accès à l’asile, un diagnostic social et des propositions d’hébergement d’urgence ». Mais « aucun calendrier n’est fixé » et on n’attend pas « une grande efficacité du guichet unique » pour ces migrants de passage. La perspective d’une évacuation des campements n’est pas écartée.
Des procédures trop lentes
Pour Pierre Henry, président de FTA, « La Chapelle est devenu l’arrière-base de Calais parce que les pouvoirs publics ont laissé la situation s’embourber avec l’idée qu’un dispositif précaire est dissuasif. » Or, il n’en est rien. « Mieux vaut la misère ici que la misère là-bas », lance Farid avec résignation, disant tout haut ce que tous les migrants pensent tout bas. « Là-bas », c’est cette Algérie que le jeune homme de 25 ans a quittée il y a six mois. « Il n’y a rien dans ce pays. Pas de travail. »
Pierre Henry souligne aussi que la lenteur des réponses apportée n’aide pas. Dans le camp, certains ont déjà vu leur demande d’asile acceptée mais n’ont pas trouvé de logement. Cela « nuit à notre crédibilité » assure le responsable.
Ali, 25 ans, est dans ce cas. Ce Soudanais a obtenu le statut de réfugié il y a plus de deux mois et veut apprendre le français pour pouvoir décrocher un emploi. Mais en attendant un toit, il en est réduit à dormir dans sa tente verte montée sur une palette de chantier et un matelas. « J’aime la France et je veux y rester, murmure-t-il dans un sourire. Mais parfois, j’ai l’impression que c’est elle qui ne m’aime pas. »
À Calais, 111 exilés Érythréens obtiennent l’Asile
Sur les 1 500 exilés de la « jungle » de Calais, 111 Érythréens – dont 16 femmes – ont obtenu le statut de réfugié, a annoncé hier l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra).
Leur dossier a été instruit directement sur site, grâce à une « mission foraine » réunissant toutes les administrations concernées. Des solutions d’hébergement leur ont été proposées un peu partout sur le territoire.
Cette opération est un signal lancé aux Érythréens, qui jusque-là avaient du mal à accéder à l’asile dans notre pays.
Ils préféraient tenter leur chance dans d’autres pays européens (Suède, Allemagne). L’an dernier, 1 671 ont obtenu la protection de la France, pour plus de 37 000 arrivées par bateau sur la même période.
22/5/15, MARGAUX BARALON
Source : La Croix