La simultanéité des deux crises migratoires, en Méditerranée et en Asie du Sud-Est, montre que le phénomène est global et que les réseaux de passeurs sont de véritables multinationales.
Des familles en détresse sur des bateaux, à la merci de passeurs criminels, des frontières qui se ferment aussi vite que monte l’intolérance, des gouvernements embarrassés par des morts noyés à leurs portes… Non, ce n’est pas de la crise en Méditerranée qu’il s’agit, mais d’une autre tragédie de boat people, celle des migrants d’Asie et surtout des réfugiés rohingyas de Birmanie, qui fuient les persécutions et dont nul ne veut.
La simultanéité des deux crises, en Méditerranée et en Asie du Sud-Est, montre que le phénomène migratoire est global – il touche d’ailleurs plus les pays "du Sud" que ceux dits "du Nord" ; que les réseaux de passeurs sont de véritables multinationales (dans leur livre "Trafiquants d’hommes", paru chez Liana Levi, Andrea Di Nicola et Giampaolo Musumeci décrivent un vrai "business", avec un chiffre d’affaires qui se compte en milliards de dollars, dans lequel les passeurs constituent le menu fretin et les "PDG" ne sont jamais pris) ; et que les solutions ne sont ni militaires ni exclusivement nationales.
Le sort des Rohingyas rappelle aussi que la haine peut surgir partout, même sous les traits d’un moine bouddhiste birman, qui mène la campagne xénophobe contre cette minorité musulmane que l’on surnomme parfois les "Roms de l’Extrême-Orient". En Birmanie, les Rohingyas sont privés de citoyenneté, soumis à des discriminations croissantes, poussant des milliers d’entre eux à l’exil. Dans l’indifférence générale, y compris de la part du prix Nobel de la paix Aung San Suu Kyi, dont le silence est devenu pesant dans cette transition démocratique.
Bonnes paroles
Avec ses limites, le parallélisme entre les deux crises touche également la réaction collective des pays de la région. Là où l’Europe est désemparée et a raté une occasion de se montrer exemplaire aux yeux de ses citoyens désenchantés, l’Asie du Sud-Est n’est guère plus cohérente. Il aura fallu la découverte de charniers de migrants morts en captivité sur le sol thaïlandais et les images de bateaux remplis de pauvres hères pour que les gouvernements se mobilisent enfin.
Les pays de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (Anase) viennent de tenir une réunion d’urgence à Bangkok, mais, au-delà des bonnes paroles, il est apparu que le mot "rohingya" ne figurait même pas sur le communiqué final, pour ne pas embarrasser la Birmanie, dont la politique d’exclusion est pourtant à l’origine de la crise. Les marines nationales ont toutefois commencé à sauver les migrants en mer, sans trop savoir ce qu’il adviendra d’eux ensuite.
Gouvernance déficiente
En Asie comme dans l’espace méditerranéen – on pourrait y ajouter la frontière entre les Etats-Unis et le Mexique, la situation des étrangers africains en Afrique du Sud, où vient de se produire une nouvelle flambée de violence xénophobe –, rien ne dissuade un homme jeune de vouloir chercher une vie meilleure ailleurs.
Ni les "murs" qui poussent aux frontières, ni le risque de la mort sur le long chemin vers un ailleurs prospère mythifié, ni même la certitude d’en baver à l’arrivée chez des nantis qui le sont moins qu’avant et redoutent cette "concurrence" venue de loin.
Dans ce monde à la gouvernance déficiente, dans lequel les Nations unies méritent de moins en moins ce nom, il n’y a plus guère de lieu de gestion collective de tels enjeux. Rien ni personne pour assurer à un Rohingya persécuté, ou à un Erythréen bâillonné, qu’il peut espérer un avenir en restant chez lui. En attendant, l’internationale des boat people continue de tenter sa chance ailleurs.
07-06-2015, Pierre Haski
Source : nouvelobs.com