jeudi 4 juillet 2024 04:27

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Le plan timide du gouvernement face au drame des migrants

Une dose d’humanitaire et une dose d’expulsion : le plan proposé en conseil des ministres, mercredi, par le ministre de l’intérieur, Bernard Cazeneuve, pour répondre aux conséquences en France de la crise migratoire européenne ressemble à un cocktail savamment dosé pour déminer un sujet politiquement explosif. Au risque de fâcher tout le monde…

La chasse aux migrants délogés de leurs installations successives dans Paris, qui scande la vie de la capitale depuis deux semaines et la proposition de la maire de Paris, Anne Hidalgo, de créer pour eux des centres de transit, nourrissent le débat politique français et conduisent à une surenchère dans la volonté d’accueillir ou non les centaines de migrants qui passent par la France après avoir débarqué sur les côtes italiennes. Dans ce contexte, le plan du ministre de l’intérieur, qui répond à une commande du chef de l’Etat le 8 juin, a pour ambition de jouer un rôle pacificateur.

Les demandeurs d’asile et les réfugiés en sont les premiers bénéficiaires, grâce à la création de 9 500 places d’hébergement supplémentaires. En même temps, le ministre veut multiplier par deux le nombre de retours volontaires des migrants économiques et optimiser le remplissage de ses centres de rétention administrative (CRA), dernière étape avant le renvoi forcé.

Les mesures phares du plan migrants

9500 places d’hébergement créées pour les réfugiés et les demandeurs d’asile.

1 500 nouvelles places d’hébergement d’urgence pour les migrants en transit.

Un effort sur le renvoi des migrants économiques et le doublement de l’aide au retour.

Renvoyer plus d’étrangers

La dose d’humanitaire est un message adressé à la gauche, à la sphère associative, aux citoyens parisiens engagés depuis deux semaines dans l’aide aux migrants évacués du campement de La Chapelle le 28 mai, et à tous ceux qui souhaitent un traitement plus digne des demandeurs d’asile condamnés à dormir dehors. Elle veut envoyer un signal à ceux qui pensent que le gouvernement Valls – et avant lui le gouvernement Ayrault – n’ont pas créé de vraie rupture avec la politique de l’ère Sarkozy. Le volet sécuritaire, lui, s’adresse à l’extrême droite, à la droite et plus largement à une opinion publique pour laquelle, dans un débat mal posé, renvoyer plus d’étrangers est un gage de bonne politique migratoire.

Le sujet est clivant. C’est en effet sur ce dossier du renvoi des étrangers qu’a achoppé la loi asile. Prévu pour passer au Parlement en procédure accélérée et s’inscrire dans la loi française en juillet, le projet de loi s’est conclu fin juin par un désaccord en commission mixte paritaire. Les Républicains ayant insisté pour que les refus d’octroi du statut de réfugié valent obligation de quitter le territoire, la députée (PS) Sandrine Mazetier, qui portait le dossier pour l’Assemblée nationale, a préféré renvoyer le texte à un nouvel examen par les deux chambres.

« Pôles d’éloignement »

Dans le plan présenté mercredi, Bernard Cazeneuve choisit de donner des gages sur ce sujet. La création annoncée de « pôles d’éloignement » aux contours encore flous est un moyen d’effacer l’image « laxiste » qui colle aux socialistes. Une autre manière aussi d’entériner que le « bon » étranger est un demandeur d’asile, un réfugié ou titulaire d’une carte talent pour les universitaires, les artistes, les étudiants les plus brillants… Cette même philosophie sous-tend le texte de loi sur les titres de séjour (qui va aussi arriver en discussion fin juillet au parlement). On n’est pas loin de l’« émigration choisie » de Nicolas Sarkozy, même si cette expression est réfutée place Beauvau.

Depuis son arrivée à l’intérieur, Bernard Cazeneuve insiste régulièrement sur « l’accroissement de 13 % des retours forcés hors Union européenne depuis 2012 ». Pour poursuivre cette courbe et surtout renouer avec les départs volontaires qui eux sont en baisse de 18,6 % entre 2013 et 2014, son plan prévoit d’expérimenter « de nouveaux dispositifs de préparation au retour », déclare-t-il sans donner de détail. Une version qui pourrait être assez proche des « Maisons du retour » que la sénatrice UDI Valérie Létard avait fait introduire lors de la première discussion sur la loi asile. Politiquement, le plan Cazeneuve a un mot pour chaque sensibilité politique.

Les efforts faits en faveur des demandeurs d’asile sont censés contrebalancer les renvois. Des moyens supplémentaires vont être débloqués pour les réfugiés, que M. Cazeneuve présente comme « une préoccupation ».

Marchandage en cours

L’effort conséquent en nombre de logements, fait conjointement avec la ministre du logement, Sylvia Pinel, n’efface pourtant pas le marchandage en cours sur la part que la France pourrait prendre dans une répartition européenne des réfugiés débarqués en Italie. L’exécutif s’était fait tirer l’oreille pour réinstaller 500 Syriens quand l’Allemagne acceptait d’en prendre 10 000 (sur 130 000 personnes jugées prioritaires par le HCR). Depuis, elle a doublé ce contingent, mais reste toujours loin derrière l’Allemagne qui a donné son aval pour recevoir 10 000 personnes supplémentaires.

La loi ne suffira pas à changer le visage de l’asile dans l’Hexagone. Plus que par son faible taux d’hébergement des demandeurs, la France se caractérise depuis des années par son peu de générosité. En première lecture, la France octroie l’asile à 17 % des demandeurs (22 % selon Eurostat qui calcule autrement). En Allemagne, ce taux est de 42 % en 2014 selon Eurostat, en Belgique de 40 %, en Finlande de 67 %, au Royaume-Uni de 39 % et globalement dans l’UE de 45 %.

Jusqu’au mois de mai, les Érythréens qui, avec les Soudanais peuplent les campements parisiens, avaient bien peu de chance d’obtenir un statut de réfugié. 14,8 % pour les Érythréens en première instance, alors que « pour l’Érythrée, le taux est de 100 % en Suède et de 85 % dans la plupart des pays », précise Gérard Sadik, de la Cimade. Pour les Soudanais, c’est la même chose. 279 ont obtenu le statut de réfugié en 2014 pour 990 refusés. « Pour eux, les proportions sont inversées des deux côtés de la Manche, estime M. Sadik. Près de 75 % d’accord au Royaume-Uni et autant de rejets en France. » Quant aux Syriens, fierté de l’OFPRA avec leurs 96 % de taux d’acceptation, 40 % entre eux n’obtiennent pas le statut de réfugiés, mais une simple protection subsidiaire bien moins avantageuse.

17.06.2015, Maryline Baumard

Source : LE MONDE

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