"La police finira peut-être par me laisser passer à pied", dit Musa, jeune Soudanais en espadrilles, assis avec ses amis sur le parapet de bord de mer, côté italien, à quelques mètres de la France, objectif inaccessible surveillé par les gendarmes.
Musa, 21 ans, a déjà essayé de passer trois fois en train côté français, certains autres migrants dix fois. Le jeune homme ne sait pas nager, mais de toute façon il a vu de bons nageurs se faire refouler en essayant de passer par la "grande bleue".
Les nuits sur les gros blocs de rochers du bord de mer, avec vue sur la vieille ville de Menton à l'horizon, sont inconfortables. Mais le jeune homme n'a pas envie de repartir à la gare italienne de Vintimille, à quelques kilomètres de la frontière, où se massent de plus en plus de migrants tentant leur chance dans les trains locaux. Mercredi, des repas ont été servis à plus d'une centaine d'entre eux, regroupés dans la petite gare.
Sur la zone littorale, où s'incrustent les chaînes de télévision italiennes, sa voix est entendue, pense Musa. "A Vintimille-gare, il n'y a pas de télévisions qui nous écoutent."
Il évoque peu la situation politique du Soudan, qu'il a quitté voici deux ans pour la Libye. Il a laissé dans sa ville d'El Obeid (Kordofan-Nord, sud du pays), son père gérant de supermarché, sa mère au foyer, dix frères et soeurs. "La vie était impossible au Soudan, tout était trop cher", insiste-t-il.
Musa avait pourtant entamé une année universitaire en informatique, abandonnée après un conflit avec un professeur. "Mon père m'a dit de continuer. Je veux vivre ma vie pour moi, pas pour ma famille", répète le jeune migrant.
En Libye, il trouve du travail dans une centrale téléphonique à Benghazi. Mais les combats l'effraient. "Il n'y a plus de gouvernement, plus de contrôle. On ne peut plus sortir après 07H00 du soir. On m'a pointé un revolver sur la tempe pour mon portable et quelques pièces."
Des passeurs lui proposent alors des traversées en bateau pour l'Italie, à des prix allant de 1.000 à 7.000 dollars. Il négocie la fourchette basse et embarque il y a quinze jours avec 600 personnes dans un bateau rudimentaire.
'Secourus par des bateaux espagnol et anglais'
"Les hommes noirs étaient serrés comme des sardines dans la cale. Le pont était réservé aux femmes et enfants, ainsi qu'aux blancs. Au bout de dix heures, le bateau s'est arrêté en pleine mer et on a été secourus par des bateaux espagnol et anglais."
Il débarque dans un port de Calabre, appelle son père, surpris, qui le croyait en Tunisie. Il passe par Rome, Milan, Vintimille, avant d'être bloqué depuis près d'une semaine sur ce bord de mer écrasé de soleil.
A Cologne, en Allemagne, autre frontière à franchir, un ami l'attend et va l'aider. En attendant, il salue comme de vieilles connaissances des bénévoles françaises, tout sourire, qui arpentent le trottoir en leur distribuant parasols, bâches en plastique, cigarettes, savonnettes, rasoirs, etc.
Les migrants se regroupent par affinités pour passer la journée sous leurs parasols. Des chanceux ont même un matelas. Un groupe de jeunes Africains se baigne pour se rafraîchir et passer le temps avant le prochain repas de la Croix-Rouge.
Malgré les embûches, Musa sourit et regarde droit devant, vers la France.
Le gouvernement français a annoncé mercredi la création de plus de 10.000 places d'hébergement supplémentaires pour les migrants, dans le cadre d'un plan affichant aussi de la fermeté face à l'immigration irrégulière.
"Il va falloir une mobilisation de nos forces, de nos préfets pour interpeller davantage, faire des procédures et placer ceux qui doivent l'être en rétention", a insisté le ministre. Il a répété sa demande de mise en place de "hotspots en Italie, en Grèce et partout ailleurs où il y aura des arrivées, pour distinguer ceux qui relèvent du statut de réfugiés des autres".
17 juin 2015,Catherine MARCIANO
Source : AFP